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Richard Cœur de Lion : roi, chevalier et troubadour


Richard Cœur de Lion : roi, chevalier et troubadour
Richard Cœur de Lion : roi, chevalier et troubadour

Il y a des figures de l’Histoire qui traversent le temps comme un écho discret, à la fois lointain et familier. Richard Cœur de Lion, je l’ai longtemps perçu à travers l’image brillante d’un roi en armure, silhouette flamboyante de croisade. Et puis, au fil de mes lectures, dans le silence des textes anciens, j’ai découvert une autre voix. Celle d’un homme qui écrivait en captivité, qui connaissait la musique des mots autant que le fracas des armes.

Ce n’est pas une quête de vérité absolue, mais un fil tiré doucement dans la trame du passé. Une tentative pour écouter, entre les lignes, ce que la mémoire médiévale conserve de plus fragile : un poème murmuré, une lettre oubliée, une joute verbale pleine d’ironie.

Ce chapitre est né de cette exploration lente. Il suit les pas d’un roi qui fut aussi poète, d’un guerrier que l’on oublie souvent d’écouter. J’espère que vous y trouverez, comme moi, un peu de cette lumière tamisée qui émane des visages multiples de l’Histoire.



 

Résumé


Richard Cœur de Lion, fils d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt, est l’un des souverains les plus emblématiques du Moyen Âge central. Cet article retrace le parcours singulier de ce roi, entre devoirs militaires, héritage politique et vie poétique. Dès l’introduction, on découvre un homme à la croisée des chemins : figure de la croisade, mais aussi prince lettré, élevé dans la culture raffinée des cours d’Aquitaine.

Le premier chapitre contextualise son époque. Le XIIᵉ siècle est marqué par la féodalité et l’essor de la culture courtoise. Richard grandit dans un monde où les chevaliers sont appelés à être à la fois preux, pieux et poètes. Son éducation, nourrie par l’influence d’Aliénor, combine apprentissage des armes et immersion dans les lettres, les langues et les chansons de geste. Ce double héritage forge chez lui une sensibilité particulière, qui le rapproche des troubadours de son temps.

L’article s’attarde ensuite sur les liens étroits entre noblesse guerrière et mécénat artistique. Richard protège les poètes, compose lui-même des vers et participe à la vie littéraire des cours d’Occitanie et du nord de la France. Sa relation avec des figures comme Bertran de Born ou Dalfi d’Alvernha illustre cette culture du verbe et de la joute poétique, qui valorise autant l’esprit que l’épée.

Le texte aborde également la place centrale des croisades dans la construction de l’idéal chevaleresque. Richard s’illustre particulièrement lors de la troisième croisade : prise de Saint-Jean-d’Acre, victoire à Arsouf, négociation avec Saladin. Sa bravoure est saluée dans les chroniques européennes, mais aussi dans les sources arabes. Toutefois, cette image de roi glorieux est nuancée par les critiques contemporaines sur sa brutalité et les lourds impôts qu’il impose à ses sujets.

Une section entière est consacrée à sa captivité en Allemagne, après son retour de croisade. C’est dans cet isolement que Richard compose son poème le plus célèbre, Ja nus hons pris, une complainte poignante adressée à sa sœur Marie de Champagne. Ce chant témoigne d’un roi blessé, oublié, mais encore habité par la puissance des mots. Il révèle une facette intime rarement accessible dans les biographies royales.

Enfin, l’article explore l’héritage littéraire et symbolique de Richard : sa présence dans les chansons de geste, les légendes médiévales (comme celle de Blondel de Nesle), et son image façonnée par les chroniqueurs comme Roger de Hoveden ou Guillaume de Newburgh. Ces récits dessinent les contours d’un mythe qui dépasse la stricte histoire.

En conclusion, Richard Cœur de Lion incarne une figure rare : celle d’un roi guerrier et poète, façonné par l’amour des lettres autant que par les armes. Sa trajectoire offre un regard riche et nuancé sur le Moyen Âge, où les mots, les gestes et les silences dessinent les contours d’une grandeur souvent plus fragile qu’elle n’y paraît.



 

Et si le plus célèbre roi croisé d’Angleterre avait été aussi un poète oublié ?

Lorsque l’on évoque Richard Cœur de Lion, surgissent aussitôt les images flamboyantes du chevalier en croisade, du guerrier farouche défiant Saladin, du roi prisonnier dont la légende a traversé les siècles. Mais derrière l’armure et l’épée se cachait un homme de lettres, un prince élevé dans les cercles les plus raffinés de la culture courtoise, capable de composer des vers poignants et de soutenir les arts avec la même ferveur qu’il portait l’étendard.

Dans cet article, vous découvrirez une facette méconnue et pourtant essentielle de Richard Ier : celle d’un souverain lettré, bercé par la lyrique occitane, mêlant stratégie et poésie, combat et composition, geste politique et inspiration troubadouresque. Des champs de bataille aux manuscrits enluminés, des lettres impériales aux chansons de geste, suivez le fil d’une vie où la plume et l’épée s’entrelacent au cœur du XIIᵉ siècle.

Un voyage au croisement de l’histoire, de la littérature et du pouvoir vous attend.


1. Introduction

Richard Ier d’Angleterre, plus connu sous le nom de Richard Cœur de Lion, naît le 8 septembre 1157 à Oxford. Troisième fils d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine, il est, dès sa jeunesse, promis à un destin qui dépasse les frontières de l’Angleterre. Roi de 1189 à 1199, il ne gouverne pas seulement le royaume insulaire : il hérite aussi d’un vaste ensemble continental qui s’étend de la Normandie jusqu’aux Pyrénées, comprenant l’Anjou, le Maine, la Touraine et surtout l’Aquitaine, duché de sa mère, riche d’une culture courtoise florissante.


Si son nom est associé de manière indélébile à la troisième croisade, Richard s’est d’abord forgé une réputation de stratège et de chef de guerre sur les terres continentales. D’après les chroniques de Roger de Hoveden, dès 1173, alors qu’il n’est qu’adolescent, il prend part à la révolte des fils Plantagenêt contre leur père, avant de se réconcilier avec lui et de mener campagne en Poitou et en Gascogne avec une efficacité remarquée. Ce goût du combat ne le quittera jamais. Lorsqu’il prend la croix en 1187, répondant à l’appel lancé après la chute de Jérusalem aux mains de Saladin, il mobilise toute la richesse de son royaume pour financer cette expédition, engageant selon les lettres de l'époque le "dépouillement des églises, la vente des charges, et l’aliénation de terres royales" (Chronica magistri Rogeri de Hoveden, t. III, p. 12-17, éd. Stubbs).


Mais derrière l’image du roi-croisé inébranlable se dessine une autre réalité, plus subtile : celle d’un prince cultivé, élevé dans une cour où la poésie et la langue d’oc tenaient autant de place que l’art de la guerre. La duchesse Aliénor, dont l’oncle, Guillaume IX d’Aquitaine, fut le premier troubadour connu, a su transmettre à son fils ce raffinement littéraire. Selon le témoignage de son biographe contemporain Guillaume de Newburgh, Richard « avait pour les lettres et les chants une inclination aussi naturelle que pour les armes » (Historia rerum anglicarum, lib. IV). Il compose lui-même des vers, et plusieurs poèmes lui sont attribués, notamment l’un des plus célèbres, Ja nus hons pris, écrit durant sa captivité en Germanie.


Cette double facette de Richard, guerrier et poète, figure de la croisade et de la courtoisie, incarne un idéal propre au XIIe siècle, où l’on attend du prince qu’il soit à la fois preux et lettré, protecteur de la foi et des arts. Son règne, bien qu’écourté par sa mort en 1199 à Châlus, reflète les tensions et les aspirations de son temps : expansion militaire, croisade sacrée, mais aussi mécénat, culture de cour, et transmission de la lyrique occitane au nord de la Loire.


En explorant cette dualité, l’histoire de Richard Cœur de Lion permet de mieux comprendre le rôle des souverains dans les mutations politiques, culturelles et spirituelles de l’Occident médiéval. Elle montre aussi combien l’image que les contemporains et la postérité se sont faite de ce roi dépasse largement celle d’un simple chef de guerre. Car au cœur de cette trajectoire, se dessine une figure complexe, dont l’écho résonne bien au-delà des batailles livrées en Terre sainte.


Pour comprendre pleinement la singularité de Richard Cœur de Lion, il est nécessaire de replacer son parcours personnel et politique dans le cadre plus vaste de l’Europe occidentale du XIIe siècle. Ce siècle, charnière dans l’histoire médiévale, voit l’émergence d’un modèle aristocratique profondément renouvelé, dans lequel s’entrelacent les valeurs féodales traditionnelles, les idéaux chevaleresques et les aspirations culturelles propres aux cours seigneuriales. Loin d’être une simple figure isolée, Richard s’inscrit dans une société où la fonction royale s’articule de plus en plus avec des exigences nouvelles de légitimité, de prestige et de rayonnement intellectuel. Cette évolution sociale et culturelle influe directement sur la manière dont les princes sont élevés, représentés et perçus par leurs contemporains.


À la croisée des chemins entre la tradition guerrière et l’émergence d’une culture curiale raffinée, le monde aristocratique dans lequel Richard évolue favorise le développement d’un idéal chevaleresque élargi. Il ne suffit plus de se distinguer par la bravoure au combat : le prince doit aussi se montrer apte à gouverner, à protéger les arts, à incarner une forme de noblesse d’esprit et de comportement. Ce contexte permet d’éclairer la double dimension de Richard, à la fois roi croisé et poète. Sa vie, son éducation, ses choix politiques et personnels prennent tout leur sens lorsque l’on examine les structures sociales et les codes culturels qui façonnent l’aristocratie du XIIe siècle.


C’est donc à l’analyse de ces fondements que l’on se consacrera à présent : comprendre la logique féodale dominante, saisir les conditions de formation des jeunes princes, mesurer l’impact de la lyrique courtoise et des valeurs véhiculées par les troubadours, mais aussi situer la croisade dans l’imaginaire collectif de cette époque. En étudiant ces éléments dans leur cohérence et leur historicité, il devient possible de mieux cerner le cadre dans lequel Richard a grandi, s’est formé, et a incarné jusqu’à sa mort un modèle princier à la fois militaire et lettré.


2. Contexte historique et thématique

À la naissance de Richard Cœur de Lion, en 1157, l’Europe occidentale est profondément structurée par le système féodal. Cette organisation sociale repose sur un enchevêtrement de liens d’homme à homme : le roi n’est qu’un seigneur parmi d’autres, et son autorité repose en grande partie sur la fidélité de ses vassaux. Le monde que Richard hérite de ses ancêtres Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine est ainsi régi par une logique de dépendances personnelles, de fidélités contractuelles, de serments et de fiefs. L’Église, tout en étant actrice majeure du système, vient sanctifier ces rapports, leur conférant une légitimité sacrée. Cette société féodale valorise le combat, l’honneur, le service et le courage. Mais elle évolue rapidement au cours du XIIème siècle : l’idéal chevaleresque s’élargit, se politise et se raffine, en intégrant progressivement des valeurs liées à la courtoisie et à la culture.


C’est dans ce contexte qu’émerge une figure nouvelle, celle du chevalier courtois. Il ne s’agit plus seulement d’un guerrier habile dans l’art du combat, mais d’un homme appelé à se comporter selon des règles de loyauté, de modération, de générosité et de respect envers les dames. Ces codes, diffusés par les élites aristocratiques, trouvent leur expression la plus éclatante dans la culture des cours, en particulier celles du Midi de la France et de l’Empire Plantagenêt. L’historien Jean Flori, dans son étude sur la chevalerie, précise que le XIIème siècle marque « la fusion du modèle guerrier et du modèle courtois, dans une synthèse idéologique qui s’incarne dans la figure du chevalier lettré et fidèle à son suzerain comme à sa dame » (Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, 1998, p. 89).


C’est précisément dans cette synthèse que s’inscrit l’enfance et la formation du jeune Richard. Il grandit au sein de la cour d’Aquitaine, l’un des foyers les plus raffinés de la culture aristocratique médiévale. Sa mère, Aliénor d’Aquitaine, est une figure centrale de la transmission de l’idéal courtois. Petite-fille de Guillaume IX d’Aquitaine, considéré comme l’un des premiers troubadours connus, Aliénor a elle-même baigné dans un environnement où la poésie lyrique, l’amour courtois et la célébration de la femme idéalisée étaient valorisés. Elle continue de promouvoir cet héritage en protégeant artistes et poètes. À la cour de Poitiers, mais aussi à Chinon et à Fontevraud, se succèdent les troubadours, les jongleurs, les poètes. Les récits et les chansons résonnent dans les grandes salles, transmettant une vision noble et spirituelle de l’amour et de l’honneur.


Richard est nourri de ces récits. Les témoignages de l’époque ne laissent aucun doute sur l’importance qu’il accorde aux lettres et aux arts. Le chroniqueur Guillaume de Newburgh, pourtant souvent critique à son égard, écrit que Richard « se plaisait à entendre les chants des poètes, à réciter les vers qu’il composait lui-même et à juger des concours de chansons avec une habileté surprenante » (Historia rerum anglicarum, IV.21). Cette éducation, qui conjugue la discipline guerrière et la finesse poétique, le distingue de nombreux autres souverains de son temps. Il est formé au maniement des armes comme à la langue d’oc, apprend les rouages de la politique féodale tout en mémorisant des vers, et cultive l’idéal du prince lettré autant que celui du capitaine militaire.


Cette culture aristocratique, déjà riche en Aquitaine, rayonne encore davantage grâce à l’influence combinée d’Aliénor et de sa fille Marie de Champagne. Mariée au comte Henri de Champagne, cette dernière tient elle aussi une cour brillante, où s’épanouissent les talents de Chrétien de Troyes et d’autres poètes de la matière arthurienne. Dans une lettre adressée à André le Chapelain vers 1175, Marie exprime son attachement à la célébration des vertus courtoises et au raffinement des sentiments amoureux, dans la tradition du fin’amor. Il est donc naturel que Richard, apparenté à ces deux grandes dames de lettres, ait développé une sensibilité qui dépasse les seuls intérêts militaires.


L’univers dans lequel Richard évolue est également marqué par un autre facteur déterminant : la montée en puissance de la lyrique occitane. Dès les premières décennies du XIIème siècle, les troubadours ont codifié un art poétique original, où la langue d’oc devient vecteur d’un idéal aristocratique de pureté, de retenue et de désir sublimé. Cette lyrique, qui atteint alors son apogée, voyage grâce aux mariages princiers et aux échanges culturels, gagnant la cour d’Angleterre et les possessions angevines. Richard, qui parle couramment l’occitan et le français d’oïl, est ainsi en mesure de lire, entendre et composer dans ces deux langues. La critique moderne, en s’appuyant sur les manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France (notamment les chansonniers occitans), a confirmé que deux pièces lui sont attribuées avec certitude, dont l’une, Ja nus hons pris, porte la marque du planh, cette forme poétique exprimant la douleur et l’abandon.


Mais la culture troubadouresque ne se limite pas à l’expression individuelle. Elle est aussi un outil politique, un signe de distinction sociale et un instrument de pouvoir. Soutenir un troubadour, organiser des tensons (duels poétiques) ou faire composer des vers à sa gloire relève d’une stratégie de légitimation. Le roi n’est pas seulement un conquérant ou un juge : il devient un homme de goût, un arbitre des élégances, un protecteur des arts. Richard incarne cette évolution avec une intensité particulière, en prolongeant dans son comportement public les valeurs de la cour dans laquelle il a été élevé.


À cela s’ajoute enfin l’appel croissant de la croisade. Depuis 1095, les souverains et seigneurs d’Occident sont incités à prendre la croix pour défendre les Lieux saints. L’idée de croisade, théorisée dans les lettres papales et les sermons des prédicateurs, se mêle progressivement à l’imaginaire chevaleresque et courtois. Le croisé devient un héros non seulement militaire mais aussi spirituel, digne d’être chanté dans les cours seigneuriales. Les poètes participent à cette élévation idéologique, comme l’ont montré les travaux de Martin Aurell (La Légende du roi Salomon au Moyen Âge, 2001) et de John Gillingham. Richard, engagé dès 1187 dans la préparation de l’expédition, s’inscrit dans cette dynamique. Ses exploits futurs en Terre sainte, ses combats, ses épreuves, mais aussi ses vers écrits en prison, en feront l’un des plus puissants symboles de cette époque où les armes et les lettres marchaient de concert.







2.1 La féodalité et la culture courtoise au XIIe siècle

À l’époque de Richard Cœur de Lion, l’Europe occidentale est profondément structurée par un système féodal où le pouvoir repose moins sur une autorité centrale que sur un enchevêtrement complexe d’obligations personnelles entre suzerains et vassaux. Chaque seigneur tient ses terres d’un autre, en échange de services – principalement militaires – et de serments de fidélité. Le roi d’Angleterre lui-même, bien que souverain en son royaume, est vassal du roi de France pour certaines de ses possessions continentales, notamment la Normandie, l’Anjou et l’Aquitaine. Cette configuration engendre des tensions permanentes, alimentées par des ambitions territoriales concurrentes et des jeux d’alliances fluctuants, dont les chroniques du moine Roger de Hoveden relatent les conséquences, notamment les révoltes et trahisons entre Henri II et ses fils (Chronica, éd. Stubbs, t. II, p. 52-76).


Dans ce cadre, la noblesse guerrière occupe le sommet de la hiérarchie sociale. Mais à partir du milieu du XIIe siècle, l’idéal de la chevalerie commence à se transformer. Le chevalier, jusque-là perçu avant tout comme un combattant et un protecteur des terres seigneuriales, devient aussi porteur de valeurs nouvelles. Il doit faire preuve de loyauté, de tempérance, de piété, mais aussi de courtoisie. Cette dernière notion, désignant à la fois les bonnes manières, la retenue et l’élégance morale, s’enracine dans une culture aristocratique où les cours seigneuriales deviennent les centres d’une vie raffinée et codifiée. Dans les mots du juriste André le Chapelain, actif à la cour de Marie de Champagne, « la courtoisie est sœur de loyauté et fille de noblesse », liant ainsi l’éthique du chevalier à un idéal moral supérieur (De amore, livre I, c. 1).


L’Aquitaine, terre d’origine maternelle de Richard, est l’un des foyers les plus vivants de cette culture. C’est là qu’émerge, au tournant du XIe et du XIIe siècle, un art poétique nouveau porté par les troubadours, ces poètes de langue d’oc qui chantent l’amour raffiné, les exploits des seigneurs et les vertus idéalisées des dames. Guillaume IX, duc d’Aquitaine et grand-père d’Aliénor, est souvent considéré comme l’un des fondateurs de cette tradition. Plusieurs de ses poèmes figurent dans les manuscrits médiévaux conservés à la Bibliothèque nationale de France (BNF, ms. fr. 854), attestant d’un style mêlant satire, ironie et lyrisme amoureux. C’est dans cet environnement que grandit Aliénor d’Aquitaine, femme de lettres avant l’heure, mécène active et figure centrale de la diffusion de la culture courtoise en Europe.


Aliénor perpétue cet héritage après son mariage avec Henri II Plantagenêt. Dans les années 1160 et 1170, sa cour itinérante accueille troubadours et chroniqueurs, favorisant les échanges entre les traditions du sud (langue d’oc) et celles du nord (langue d’oïl). Sa fille Marie, devenue comtesse de Champagne, joue à son tour un rôle décisif dans cette transmission. C’est à sa cour que Chrétien de Troyes compose ses romans arthuriens, dont Lancelot et Yvain, qui posent les bases littéraires du chevalier courtois, figure héroïque animée non seulement par la bravoure mais par la délicatesse du cœur. Dans sa dédicace à Marie, Chrétien souligne que son œuvre est « faite selon son bon plaisir et sous sa direction », ce qui atteste du rôle direct de la cour comtale dans la genèse de cette littérature (Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la charrette, v. 19-24, éd. Roques, 1941).


C’est dans ce milieu d’exception que Richard reçoit sa première éducation. Les sources contemporaines, bien que lacunaires sur les détails de sa formation, laissent entendre qu’il est initié dès l’enfance aux arts de la guerre et de la gouvernance, mais aussi aux lettres et aux arts. Sa connaissance de la langue d’oc, attestée par ses compositions poétiques, témoigne de son immersion dans la culture courtoise. Guillaume de Newburgh rapporte que Richard, même dans ses campagnes militaires, emportait avec lui des musiciens et aimait à s’entourer d’hommes lettrés (Historia rerum anglicarum, IV.21). À la cour d’Aliénor, il côtoie des troubadours tels que Bertran de Born, qui le surnomme dans un de ses sirventes Oc-e-Non, pour souligner son caractère impulsif et contradictoire. Ce surnom, rapporté dans les chansonniers occitans, illustre à la fois la proximité du prince avec les poètes et la manière dont ces derniers participent à forger son image publique.


Ainsi, la culture courtoise ne constitue pas un simple arrière-plan esthétique ou mondain dans l’univers de Richard Cœur de Lion. Elle façonne son langage, guide ses choix, modèle sa conduite et colore même les expressions de sa détresse. Lorsque plus tard, prisonnier du Saint-Empire, il composera Ja nus hons pris, c’est en troubadour formé par les valeurs de la fin’amor qu’il dira sa plainte – non en roi revendiquant ses droits, mais en homme affligé implorant la fidélité de ses proches. Cette posture, enracinée dans les formes poétiques et morales du XIIe siècle, n’est compréhensible qu’à la lumière du contexte dans lequel Richard a grandi, formé à conjuguer les armes et les lettres, l’honneur et le chant.


L’étude du cadre féodal et de l’essor de la culture courtoise permet de situer avec précision les grands équilibres sociaux, politiques et symboliques qui définissent l’environnement dans lequel Richard Cœur de Lion est amené à évoluer. Toutefois, pour mieux saisir comment ces idéaux sont transmis et intériorisés par les élites dirigeantes, il est nécessaire d’examiner les mécanismes concrets de formation des jeunes princes dans les dynasties européennes du XIIe siècle. Le raffinement des cours, la circulation des œuvres poétiques et la codification progressive des comportements chevaleresques ne constituent pas seulement un décor dans lequel les souverains évoluent : ils agissent en profondeur sur leur instruction, leurs habitudes intellectuelles, leur rapport au pouvoir et à l’autorité.


Chez les Plantagenêt comme dans d’autres familles royales ou princières, l’éducation repose sur une articulation étroite entre l’apprentissage de la guerre et celui des lettres, entre les techniques du commandement et l’initiation aux normes morales, religieuses et littéraires. Cette double formation n’est pas seulement le fruit de conventions éducatives : elle répond à une attente sociale claire, celle de voir émerger des dirigeants capables de faire valoir leur autorité aussi bien sur le champ de bataille que dans les cercles lettrés. Le prince idéal est un homme d’action, mais aussi un homme de parole. Cette exigence façonne dès l’enfance le rapport des héritiers au monde, à leur lignée, à la mémoire familiale et aux modèles qu’ils doivent incarner.


Dans le cas de Richard, cette éducation prend une résonance particulière, du fait de l’influence active de sa mère Aliénor d’Aquitaine, duchesse lettrée et mécène engagée. La transmission des valeurs courtoises et de la tradition poétique occitane dans son entourage immédiat n’est pas seulement un héritage familial : elle constitue un socle sur lequel repose toute une pédagogie princière, faite d’imitations, de lectures, d’écoute et d’exercice oratoire. Comprendre la formation intellectuelle et morale de Richard Cœur de Lion exige donc de s’attarder à présent sur les modalités concrètes de cette éducation, les langues dans lesquelles elle s’exerce, les formes qu’elle privilégie, et les témoignages historiques qui en attestent la portée. C’est à cette étape essentielle de sa construction que s’attache désormais l’analyse.



Richard et la figure du roi absent dans les ballades anglaises
Richard et la figure du roi absent dans les ballades anglaises

Richard et la figure du roi absent dans les ballades anglaises
Richard et la figure du roi absent dans les ballades anglaises


2.2 L’éducation des princes

Dans le contexte féodal du XIIe siècle, l’éducation des princes n’est pas laissée au hasard. Elle obéit à une double exigence : former de futurs chefs de guerre capables de gouverner leurs domaines et de commander les armées, tout en les préparant à endosser le rôle de figures morales, cultivées et aptes à s’exprimer dans les formes codifiées de la cour. Richard Cœur de Lion, comme ses frères Geoffroy et Henri le Jeune, est l’objet d’un programme éducatif qui reflète à la fois l’idéal de la dynastie Plantagenêt et les ambitions politiques d’Aliénor d’Aquitaine. S’il reste peu de sources détaillées sur la composition exacte de son enseignement, plusieurs chroniqueurs et historiens postérieurs s’accordent à souligner son niveau de culture et la précocité de sa formation militaire.


Richard passe une partie de son enfance en Angleterre, puis est envoyé très jeune à Poitiers, au cœur du duché d’Aquitaine. C’est là, sous la tutelle directe de sa mère, qu’il découvre la richesse d’une culture profondément marquée par l’héritage poétique du sud de la France. La cour d’Aliénor n’est pas simplement un centre de pouvoir : elle constitue un espace d’instruction vivante, où les lettres, les langues, la rhétorique et la musique sont omniprésentes. Les poètes y sont accueillis, les récits épiques y sont chantés, les codes de la chevalerie y sont discutés et transmis. L’influence de ce cadre se mesure aux aptitudes mêmes de Richard, dont les contemporains ont salué la maîtrise du verbe autant que de l’épée. Guillaume de Newburgh, bien qu’assez critique envers certains traits de caractère du roi, souligne qu’il « parlait avec aisance, composait des vers avec goût et montrait une connaissance aiguë des traditions littéraires de son pays » (Historia rerum anglicarum, IV, éd. Howlett, 1885, p. 384-387).


Cette double formation, à la fois chevaleresque et lettrée, est une constante dans l’éducation princière du XIIe siècle. Elle puise autant dans les traditions aristocratiques que dans l’enseignement clérical, dispensé souvent par des précepteurs issus du milieu ecclésiastique. L’historien Martin Aurell rappelle, dans son ouvrage Le Pouvoir des rois : France, Xe-XIIIe siècle (PUF, 2010, p. 212), que les fils de souverains reçoivent très tôt des rudiments de grammaire latine, d’histoire sainte, et sont initiés à la lecture des chansons de geste, récits fondateurs où se mêlent exploits militaires et leçons de loyauté. Dans le cas de Richard, l’apprentissage du roman courtois semble avoir tenu une place tout aussi importante. Sa familiarité avec les motifs de la fin’amor, la manière dont il compose ses propres textes lyriques, montrent qu’il ne se contente pas d’une culture de cour superficielle, mais qu’il s’en approprie les codes pour les intégrer à son identité politique et personnelle.


Richard parle couramment le français d’oïl, la langue de son père et de l’administration anglo-normande. Mais il comprend et pratique également la langue d’oc, héritée d’Aliénor et utilisée par les troubadours dans leurs œuvres. Cette compétence linguistique, précieuse à une époque où les idiomes vernaculaires structurent les communautés culturelles, lui permet non seulement de lire les textes en version originale mais aussi d’interagir avec les poètes et les chanteurs. On conserve aujourd’hui plusieurs pièces attribuées à Richard, dont Ja nus hons pris, écrite en ancien français, et transmise dans des chansonniers qui témoignent de sa réception dès la fin du XIIe siècle. Charmaine Lee, spécialiste de la lyrique médiévale, indique que cette chanson, bien qu’ultérieurement traduite en occitan, fut d’abord composée en langue d’oïl, « ce qui n’enlève rien à la familiarité de Richard avec les deux traditions linguistiques et poétiques » (Medium Ævum, vol. 77, n°1, 2008, p. 25-42).


La présence de Richard à Poitiers pendant son adolescence et le rôle actif joué par Aliénor dans son éducation sont aussi attestés par les correspondances diplomatiques et les actes de chancellerie conservés dans les archives royales. Dans une lettre adressée au pape Alexandre III en 1177, Henri II précise que son fils Richard « a reçu à Poitiers les conseils les plus honorables et pieux de la part de sa mère et des prélats du duché » (cité dans Recueil des actes de Henri II, éd. Richard Howlett, 1889, p. 291). Ces documents montrent que l’éducation du prince s’effectue sous la surveillance étroite de figures religieuses autant que politiques, selon une logique où la transmission du savoir accompagne celle de l’autorité.


Enfin, le lien intime entre culture chevaleresque et culture écrite se reflète dans les lectures que Richard a pu fréquenter. Les bibliothèques royales contenaient alors des manuscrits précieux, copiés par les moines ou les clercs savants. La Vita de Guillaume le Maréchal rapporte que ce dernier, proche de Richard, offrait à sa cour des lectures publiques de romans et de récits arthuriens, notamment ceux de Wace et de Benoît de Sainte-Maure, auteurs largement diffusés dans les milieux princiers du second XIIe siècle. Il est donc vraisemblable que Richard, par ce réseau d'influences, ait eu accès à cette littérature et s’en soit nourri pour façonner une image de lui-même conforme aux idéaux de son époque.


L’éducation de Richard, entre formation militaire, enseignement des lettres et immersion dans la culture courtoise, illustre ainsi la construction progressive d’un prince à la fois stratège et poète. Ce modèle, bien ancré dans les pratiques éducatives des grandes familles aristocratiques du XIIe siècle, explique en partie l’aisance avec laquelle il naviguera, toute sa vie durant, entre les champs de bataille et les cercles lettrés.


L’examen de la formation intellectuelle et chevaleresque de Richard Cœur de Lion met en lumière la manière dont un prince du XIIe siècle pouvait incarner l’idéal d’un souverain à la fois compétent militairement et cultivé sur le plan littéraire. Cette éducation, reçue dès l’enfance, ne se limitait pas à un apprentissage fonctionnel des armes ou à la simple lecture des textes religieux. Elle avait pour vocation de façonner une figure princière complète, capable de répondre aux attentes multiples que la société féodale plaçait dans ses élites dirigeantes. À mesure que le jeune Richard s’initie à la rhétorique, aux langues vernaculaires et à la poésie, il acquiert également les outils symboliques nécessaires pour se positionner comme un acteur culturel dans son époque.


Mais cette éducation ne se comprend pleinement que lorsqu’on la replace dans le cadre plus vaste de la culture aristocratique de cour, où les compétences artistiques et l’aptitude à promouvoir les lettres faisaient partie intégrante de l’exercice du pouvoir. Dès lors qu’il atteint l’âge adulte et commence à exercer ses responsabilités politiques et militaires, Richard met en œuvre les principes reçus lors de son instruction. Il ne se contente pas de se conformer aux codes établis : il y participe activement en prenant part à la vie artistique de son temps, tant par la composition poétique que par la protection des troubadours qui fréquentent sa cour.


Cette évolution n’est pas propre à Richard seul. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large du XIIe siècle, où les princes et seigneurs, tout en consolidant leur autorité territoriale, affirment leur prestige à travers le mécénat, la diffusion des œuvres littéraires et la promotion des formes poétiques en langue vernaculaire. Dans ce contexte, le rapport entre noblesse et culture devient un marqueur essentiel de distinction sociale et politique. C’est à l’analyse de cette articulation, entre fonction guerrière et engagement artistique, que se consacre à présent la suite de l’étude, en abordant la place qu’occupe Richard dans l’histoire du mécénat aristocratique et la manière dont il fait rayonner l’art des troubadours depuis les cercles princiers jusqu’aux champs de bataille.



L’écho de Richard dans la tradition allemande des Minnesänger
L’écho de Richard dans la tradition allemande des Minnesänger

L’écho de Richard dans la tradition allemande des Minnesänger
L’écho de Richard dans la tradition allemande des Minnesänger


2.3 Noblesse guerrière et mécénat artistique

Dans l’Occident féodal du XIIe siècle, la puissance d’un prince ne se mesure pas seulement à l’étendue de ses terres ou à la valeur de ses armées. Elle s’affirme également par la richesse symbolique de sa cour, reflet de son autorité, de son raffinement et de sa légitimité. Dans cette société où l’oralité tient une place centrale, le prestige culturel est devenu un enjeu de pouvoir. Richard Cœur de Lion, à l’image de son grand-père Guillaume IX d’Aquitaine, incarne pleinement cette double identité du seigneur médiéval, à la fois chef de guerre et protecteur des lettres. Loin de se cantonner au rôle de souverain martial, il joue un rôle actif dans la promotion des arts et la perpétuation de la tradition poétique de sa lignée.


Cette alliance entre noblesse et culture n’est pas une exception. Depuis la première moitié du XIIe siècle, de nombreuses cours princières se transforment en foyers intellectuels où circulent chroniqueurs, musiciens et poètes. Le duché d’Aquitaine, que Richard administre dès l’adolescence, est à cet égard l’un des plus influents. Dans son Sirventes, le troubadour Bertran de Born évoque la personnalité flamboyante du jeune prince en ces termes : « Qu’el cor a hardimen e saber / plus que negus reys ni coms vius », soulignant à la fois sa bravoure et son intelligence (éd. Appel, Poésies complètes, 1915, p. 67). Bertran de Born, vassal turbulent et poète reconnu, entretient avec Richard une relation faite de rivalité et d’admiration, illustrant la proximité entre pouvoir féodal et pratique poétique. Ce type de lien entre prince et troubadour est caractéristique du rapport de mécénat tel qu’il s’exerce alors : il ne s’agit pas simplement d’un soutien financier ou moral, mais d’une participation directe à la vie culturelle de la cour, dans un cadre où le chant, la parole et la mémoire sont des instruments politiques à part entière.


Richard ne se contente pas d’écouter les poètes : il prend part aux joutes oratoires, juge des concours de composition et compose lui-même. Son goût pour les sirventes, ces poèmes à tonalité satirique ou polémique, le rapproche des formes les plus dynamiques de la lyrique occitane. Un poème attribué à Richard, conservé dans le Chansonnier du roi (BNF, fr. 844), s’intitule Dalfin, je us voill desrenier et semble répondre à un vers de Dalfi d’Alvernha, comte d’Auvergne et troubadour lui-même. Cette pratique du tenso, forme poétique dialoguée où deux voix s’opposent ou se répondent sur un ton vif, est fréquente dans les cercles aristocratiques. Le roi-poète s’insère donc pleinement dans cette tradition littéraire où l’art du vers devient un terrain d’expression politique autant que personnelle.


Ce lien entre fonction guerrière et expression poétique répond à une logique propre au système féodal. La renommée, cette notion centrale dans les sociétés aristocratiques, se construit dans l’espace public à travers des gestes héroïques, des alliances dynastiques, mais aussi par la circulation des récits et des chants. La figure du prince magnanime, capable de défendre son peuple, de vaincre ses ennemis et de célébrer l’amour ou l’honneur en vers, devient un modèle à suivre. Dans cette optique, Richard ne déroge pas aux attentes de son rang : il sait que protéger un poète, faire l’éloge d’un troubadour ou déclamer lui-même quelques strophes contribue à renforcer son prestige. Le Liber Censuum Ecclesiae Romanae, rédigé sous la direction de Cencius Camerarius vers 1192, fait mention de l’importance que les princes attachent à leur représentation dans les cours poétiques et dans les œuvres chantées, mentionnant que plusieurs seigneurs « se faisaient volontiers louer dans les vers, considérant que l’honneur chanté dépasse l’honneur écrit » (éd. Fabre, 1905, vol. I, p. 172).


Dans l’héritage de Guillaume IX d’Aquitaine, Richard reprend cette tradition du souverain protecteur des arts, tout en l’adaptant à son époque. Le choix même de ses collaborateurs artistiques, issus des cercles troubadours et trouvères, indique une volonté de maintenir la cour d’Aquitaine comme centre de création et de rayonnement culturel. Si son engagement dans les campagnes militaires de la troisième croisade puis son emprisonnement limitent les occasions d’exercer un mécénat actif au sens matériel, les traces de son rôle dans la circulation poétique demeurent visibles à travers les chansonniers, les témoignages de ses contemporains et les poèmes conservés. Son modèle inspirera d’autres souverains : Frédéric II, au siècle suivant, adoptera lui aussi une posture de prince érudit, mariant rigueur administrative et goût pour les arts.


Ainsi, dans l’Europe du XIIe siècle, où le prestige ne s’impose plus seulement par les armes, mais aussi par la culture, Richard Cœur de Lion s’impose comme l’un des exemples les plus achevés de cette figure mixte de seigneur-chevalier et de mécène. Il contribue à faire de la parole chantée un instrument d’autorité et de rayonnement, dans une société où poésie et pouvoir s’articulent étroitement au service de la mémoire politique et de l’idéal aristocratique.



Le mécénat féminin : Aliénor d’Aquitaine et Marie de Champagne, passeuses de culture
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2.4 La lyrique troubadouresque en Occitanie et les croisades comme cadre d’expression chevaleresque

Au début du XIIe siècle, dans les territoires de langue d’oc que l’on désigne aujourd’hui sous le nom d’Occitanie, naît une tradition poétique entièrement nouvelle qui allait profondément marquer la culture des cours aristocratiques européennes : celle des troubadours. Cette poésie, élaborée dans les châteaux seigneuriaux du sud de la France, repose sur un ensemble de formes, de thèmes et de codes que les auteurs eux-mêmes appellent fin’amor — un amour stylisé, exigeant, codifié, où la relation entre le poète et la dame est mise en scène selon une hiérarchie inversée, inspirée de la structure féodale. Dans ce cadre, le poète se fait le vassal de la dame, à laquelle il adresse des louanges raffinées, mêlant l’éloge du corps et celui de l’âme, tout en respectant la distance imposée par la bienséance.


Les compositions des troubadours ne se limitent toutefois pas à la sphère amoureuse. Elles abordent aussi des questions politiques, des rivalités féodales, des réflexions morales, et parfois même des exhortations religieuses. Leur art s’appuie sur la langue d’oc, dont la musicalité et la richesse expressive en font un vecteur de choix pour une poésie lyrique exigeante. Dès la seconde moitié du XIIe siècle, cette lyrique occitane connaît un rayonnement qui dépasse les frontières linguistiques. Sous l’impulsion de grandes figures aristocratiques, elle est transmise vers les régions du nord, où apparaissent les trouvères de langue d’oïl. Le rôle d’Aliénor d’Aquitaine dans ce processus est fondamental. Fille de Guillaume X, duc d’Aquitaine, et petite-fille de Guillaume IX, considéré comme le tout premier troubadour connu, elle a grandi dans un milieu où la parole poétique faisait partie intégrante de la vie de cour. En tant qu’épouse successivement de Louis VII de France puis d’Henri II d’Angleterre, elle transporte avec elle cette tradition dans ses nouvelles résidences, contribuant ainsi à son expansion.


Richard, élevé à Poitiers auprès de sa mère, est directement exposé à cet univers. Son attachement aux formes lyriques de l’Occitanie ne relève donc pas d’un intérêt tardif ou opportuniste, mais d’un enracinement profond dans une tradition familiale et territoriale. En tant que duc d’Aquitaine, il hérite de cette culture et l’incarne avec une intensité particulière. La cour qu’il dirige accueille poètes et musiciens, parmi lesquels figure Bertran de Born, l’un des troubadours les plus audacieux de son temps. Ce dernier compose plusieurs sirventes dans lesquels il évoque Richard, tantôt pour le louer, tantôt pour le défier. Il le surnomme Oc-e-Non, en référence à son caractère imprévisible, oscillant entre affirmation et refus. Ce surnom, attesté dans plusieurs chansonniers médiévaux, illustre à la fois la familiarité du poète avec le prince et la manière dont les figures politiques deviennent des sujets lyriques à part entière. Les travaux de Simon Gaunt (Troubadours and Irony, Cambridge University Press, 1989) confirment que ce type d’échange entre troubadour et seigneur repose sur un pacte implicite de reconnaissance mutuelle, où l’éloge et la satire se répondent dans le respect des conventions poétiques.


Richard, formé à la musique et à la versification dès son adolescence, développe un goût prononcé pour la poésie chantée. Il ne se contente pas de la fréquenter passivement : il en devient un acteur à part entière. Plusieurs compositions lui sont attribuées, dont certaines en langue d’oïl, d’autres en langue d’oc. Cette pratique poétique, loin d’être anecdotique, s’inscrit dans un processus de légitimation culturelle. Le prince, en chantant, affirme sa maîtrise des codes aristocratiques les plus élevés. Il montre qu’il est capable, comme ses vassaux poètes, d’exprimer ses émotions, de manier les formes fixes, de répondre aux défis lyriques. Ce raffinement n’est pas en contradiction avec son autorité militaire ; au contraire, il la complète. Il correspond à un idéal aristocratique qui conjugue bravoure au combat, loyauté politique et sensibilité artistique.


Cet idéal trouve un terrain d’expression privilégié dans les grandes entreprises religieuses du temps : les croisades. À partir de la fin du XIe siècle, l’appel à prendre la croix se diffuse dans toute la noblesse européenne. Partir en Terre sainte pour défendre ou reconquérir les lieux saints devient un acte de foi, mais aussi un acte de prestige. Les chansons de geste, comme la Chanson d’Antioche ou la Chanson de Jérusalem, magnifient les exploits des chevaliers croisés et présentent la croisade comme un accomplissement de l’idéal chevaleresque. Cette vision pénètre également la poésie courtoise. Les troubadours composent des chansons de croisade (ou cansos de la crosada), dans lesquelles ils mêlent ferveur religieuse, nostalgie de l’amour courtois et douleur de la séparation. Ces œuvres, souvent adressées aux dames restées au pays, déploient un discours mêlant loyauté envers Dieu et fidélité aux liens amoureux.


Richard s’inscrit dans cette tradition lorsqu’il s’engage dans la troisième croisade, en 1189. Tout au long de cette expédition, il agit en chevalier, en stratège, mais aussi en homme de lettres. Les sources contemporaines, notamment Roger de Hoveden (Chronica, t. III, éd. Stubbs, p. 45-48), relatent que même dans les campements militaires, le roi ne délaissait ni la musique ni la composition poétique. C’est cependant au moment de son emprisonnement en Germanie, en 1193, que sa voix littéraire atteint une intensité particulière. Captif à Dürnstein, il compose une complainte célèbre : Ja nuls hom pres non dira sa razon, vers en langue d’oc où il exprime sa douleur d’être oublié par les siens et son espoir d’une délivrance. Ce texte, transmis par plusieurs manuscrits et cité dans la Chronique rimée de Richard de Devizes, ouvre sur ces mots : « Ja nuls hom pres non dira sa razon, / Adrechament, si com hom dolens non », soit « Jamais homme prisonnier ne dira sa situation convenablement, s’il ne le fait en homme affligé ». Ce poème, à la fois témoignage personnel et exercice de style, s’inscrit dans la tradition du planh occitan, forme poétique élégiaque destinée à exprimer le deuil, la peine ou la perte.


Par cet acte d’écriture, Richard ne cherche pas seulement à exprimer un état d’âme. Il affirme, même dans l’adversité, son appartenance à un ordre culturel où la parole chantée constitue une arme de prestige aussi redoutable que l’épée. La poésie devient alors un prolongement du combat, une manière de rester souverain malgré la captivité, de rappeler son rang, son honneur et son humanité. Dans une société où la renommée repose autant sur les faits d’armes que sur la manière dont on les raconte, Richard Cœur de Lion occupe une place singulière : celle d’un roi troubadour, dont la voix poétique aura traversé le temps autant que sa légende militaire.


L’étude du contexte culturel, social et idéologique dans lequel évolue Richard Cœur de Lion permet de mieux comprendre les ressorts qui façonnent son identité de souverain. Elevé dans une tradition où l’art lyrique occupe une place centrale et nourri des valeurs féodales du service, de la loyauté et de l’honneur, Richard n’est pas seulement un héritier de lignées puissantes. Il incarne une synthèse rare entre l’idéal courtois et la vocation militaire, deux dimensions qui trouvent leur point de convergence dans la croisade, présentée comme l’accomplissement suprême de l’éthique chevaleresque. À travers la poésie, il exprime une subjectivité profondément marquée par les valeurs de son temps ; à travers la guerre sainte, il met en œuvre les principes de fidélité, de courage et de sacrifice sur un théâtre d’ampleur continentale.


Toutefois, ces idéaux, aussi structurants soient-ils, ne prennent leur véritable signification qu’à travers les faits. L’analyse des représentations et des modèles ne saurait suffire à saisir pleinement la figure historique de Richard sans l’examen des actions concrètes qui ont jalonné son règne. Il convient donc désormais d’aborder les manifestations tangibles de cette dualité – roi combattant et poète courtois – telle qu’elle s’est incarnée dans les événements majeurs de sa vie publique. À partir de 1190, l’engagement du roi d’Angleterre dans la troisième croisade donne corps à l’image du roi chevalier : la geste militaire de Richard, ses choix tactiques, ses victoires et ses revers, mais aussi la perception de ses contemporains, offrent un terrain d’observation privilégié.


C’est dans cette perspective que s’ouvre la troisième partie de cette étude, consacrée à l’examen rigoureux des épisodes historiques les plus significatifs du règne de Richard. À commencer par la croisade elle-même, dont la portée stratégique, politique et symbolique constitue un moment décisif dans la construction de sa légende.



Les chansonniers médiévaux : témoins manuscrits d’une mémoire poétique
Les chansonniers médiévaux : témoins manuscrits d’une mémoire poétique

Les chansonniers médiévaux : témoins manuscrits d’une mémoire poétique
Les chansonniers médiévaux : témoins manuscrits d’une mémoire poétique


3. Manifestations du thème dans l’histoire


3.1 Un roi chevalier sur la troisième croisade

La renommée de Richard Cœur de Lion comme roi-chevalier s’est principalement construite autour de sa participation à la troisième croisade, engagée à la suite de la prise de Jérusalem par Saladin en 1187. Dès 1188, alors qu’il n’est encore que duc d’Aquitaine et héritier du trône d’Angleterre, Richard prend la croix à Tours, lors d’une cérémonie solennelle aux côtés de Philippe Auguste, roi de France. Devenu roi en 1189, il met aussitôt l’ensemble de ses ressources au service de l’expédition, allant jusqu’à vendre des charges et des terres royales pour financer les coûts colossaux de la guerre sainte. Selon Roger de Hoveden, « il vendit les biens de la couronne comme on vendrait des bottes de foin sur la place publique » (Chronica magistri Rogeri de Hoveden, t. III, éd. Stubbs, p. 18), signe de sa détermination à faire de la croisade l’axe majeur de son règne.


Parti en 1190 depuis la Méditerranée, il fait halte à Messine avant de s’emparer de Chypre en mai 1191, à la suite d’un conflit avec l’usurpateur Isaac Comnène. Cette conquête, rapide et stratégique, lui permet de sécuriser une base logistique essentielle pour la poursuite de l’expédition. Il y célèbre son mariage avec Bérengère de Navarre, avant de rejoindre la Terre sainte. Lorsqu’il arrive à Saint-Jean-d’Acre en juin 1191, la ville est assiégée depuis près de deux ans par les forces croisées. L’historien Ambroise, témoin de la campagne, souligne dans L’Estoire de la guerre sainte que l’arrivée de Richard provoque un sursaut décisif : « Quant li reis Richard vint d’Engleterre / la mort fu grant en la chié terre » (v. 1832-1834, éd. Gaston Paris, 1897). L’efficacité tactique du roi anglais, combinée à la pression exercée par Philippe Auguste, mène à la capitulation de la ville le 12 juillet 1191.


Mais c’est surtout lors de la bataille d’Arsouf, le 7 septembre suivant, que Richard gagne son surnom de Cœur de Lion. Alors que les troupes franques progressent péniblement le long de la côte, sous les attaques constantes des forces de Saladin, la situation devient critique. Le chroniqueur Guillaume de Tyr rapporte que Richard, voyant ses lignes fléchir, prend l’initiative de mener une contre-attaque foudroyante qui renverse le cours du combat. Son engagement personnel dans la mêlée est souligné par Ibn al-Athîr, chroniqueur musulman du XIIIe siècle, qui écrit que « jamais homme ne fit preuve de plus de bravoure, de ruse et de sang-froid que le roi d’Angleterre » (Al-Kamil fi al-Tarikh, éd. C. J. Tornberg, t. XII, p. 43). La victoire d’Arsouf n’ouvre pas les portes de Jérusalem, mais elle restaure la confiance des croisés après les longues épreuves du siège d’Acre et inflige à Saladin un revers marquant.


Dans les mois qui suivent, Richard poursuit sa campagne jusqu’à Jaffa, consolidant les positions chrétiennes sur la côte. Cependant, les dissensions entre les chefs de la croisade, l’éloignement de ses terres menacées en Europe et les difficultés d’approvisionnement freinent l’offensive vers Jérusalem. En septembre 1192, Richard conclut avec Saladin une trêve de trois ans, qui garantit aux pèlerins chrétiens l’accès libre aux Lieux saints. Bien que la ville sainte demeure aux mains des musulmans, cette paix est considérée par plusieurs chroniqueurs comme un compromis honorable. Le traité est mentionné dans une lettre du roi à l’abbé de Clairvaux, conservée dans le cartulaire de l’abbaye (Archives départementales du Calvados, H/382, fol. 46r), où il affirme avoir obtenu « la sauvegarde des routes de pèlerinage par la prudence plus que par l’épée ».


La geste militaire de Richard est célébrée non seulement dans les sources chrétiennes mais aussi dans les témoignages adverses. Saladin lui-même, selon son secrétaire Baha ad-Din Ibn Shaddad, le considérait comme un ennemi digne d’estime, et leur relation, bien que strictement diplomatique, fut marquée par un respect mutuel. Les traditions occidentales ont souvent amplifié cette image d’un duel de géants entre le roi croisé et le sultan d’Égypte, contribuant à construire une légende durable. Toutefois, certains contemporains émettent des réserves. Les moines chroniqueurs de l’abbaye de Saint-Albans critiquent les méthodes de financement de la croisade, jugées oppressives pour le clergé et les paysans. Dans la Gesta Regis Ricardi, rédigée peu après sa mort, on trouve le commentaire suivant : « Sa gloire était grande, mais le poids de ses exigences fiscales l’était davantage encore » (éd. Stubbs, t. II, p. 415).


Cette ambivalence caractérise toute l’image de Richard Cœur de Lion : héros militaire pour les uns, seigneur impétueux pour les autres. Son engagement personnel, son charisme sur le champ de bataille et son habileté diplomatique ont durablement inscrit son nom dans la mémoire collective comme celui du roi chevalier par excellence. Pourtant, l’éclat de ses victoires ne doit pas faire oublier les tensions internes, les critiques ecclésiastiques, et les conséquences financières de sa politique de croisade. La légende s’est construite sur des faits réels, magnifiés par les récits poétiques et les chroniques, mais son règne, bien qu’héroïque, reste aussi celui d’un homme confronté aux limites du pouvoir médiéval.


L’étude des campagnes de la troisième croisade permet de mesurer l’ampleur du rôle militaire joué par Richard Cœur de Lion sur la scène internationale. Sa réputation de stratège et de chef de guerre s’est forgée dans les affrontements majeurs de la guerre sainte, où sa présence fut décisive pour les armées chrétiennes, comme l’ont souligné aussi bien les chroniqueurs latins que les auteurs musulmans. Toutefois, la grandeur de son personnage historique ne se limite pas aux victoires sur le champ de bataille. Elle s’incarne également dans les moments de repli, d’épreuve et de silence forcé, qui révèlent une autre dimension de son identité. Si la croisade a été pour Richard l’occasion d’illustrer l’idéal du roi-chevalier, sa captivité à son retour en Occident donne à voir un aspect plus singulier et intime de sa personne : celui d’un homme lettré, pétri de culture courtoise, qui utilise la poésie non comme ornement de cour, mais comme médium d’expression personnelle et politique.


La transition entre ces deux moments – celui de l’épopée militaire et celui de la détention – marque un basculement dans les modalités de représentation du souverain. Désormais isolé, privé de son armée, contraint à l’inaction politique, Richard n’en demeure pas moins acteur de son propre récit. C’est par l’écriture, et plus précisément par la chanson, qu’il poursuit son rôle dans l’espace public. Loin d’être un simple passe-temps de prince captif, la création poétique devient un outil de communication, un acte de présence dans le monde aristocratique, et une manière de solliciter soutien et fidélité. Le contexte culturel dans lequel il a grandi, nourri de lyrique courtoise et de valeurs troubadouresques, prépare ce retournement. Ainsi, l’homme de guerre que la croisade avait élevé au rang de héros devient, dans la solitude du cachot, un poète d’une rare sincérité, dont les vers franchissent les murs pour toucher ses alliés autant que ses adversaires.


Il convient donc d’examiner à présent cette production poétique née de la captivité, afin de comprendre comment le souverain mobilise son art et son éducation pour affronter l’humiliation de l’enfermement. L’exemple de Ja nus hons pris, rédigé dans les mois les plus incertains de sa détention, offre une source précieuse pour aborder la posture du roi troubadour face à l’épreuve. Ce texte, unique en son genre dans l’histoire des rois d’Occident, éclaire avec précision les ressorts d’une expression politique par la poésie, dans un moment où la parole chantée devient le prolongement de la souveraineté suspendue.



Rançon et diplomatie : un épisode révélateur de la géopolitique du XIIe siècle
Rançon et diplomatie : un épisode révélateur de la géopolitique du XIIe siècle

Rançon et diplomatie : un épisode révélateur de la géopolitique du XIIe siècle
Rançon et diplomatie : un épisode révélateur de la géopolitique du XIIe siècle


3.2 Un poète en captivité

L’un des épisodes les plus marquants du règne de Richard Cœur de Lion survient non pas sur les champs de bataille de la Terre sainte, mais dans les geôles de l’Empire germanique. De retour de croisade, alors qu’il traverse incognito le territoire du Saint-Empire, le roi d’Angleterre est capturé le 20 décembre 1192 près de Vienne par les hommes du duc Léopold V d’Autriche, avec lequel il s’était publiquement brouillé lors du siège de Saint-Jean-d’Acre. Remis peu après à l’empereur Henri VI, Richard est emprisonné en plusieurs lieux successifs, notamment à Trifels et Haguenau, durant plus de quatorze mois, en attente du versement d’une rançon colossale évaluée à 100 000 marcs d’argent — une somme sans précédent dans l’Occident médiéval. Les chroniques de Roger de Hoveden confirment l’importance de cette somme, et rapportent qu’Henri VI envisageait même de livrer Richard à Philippe Auguste, qui souhaitait l’éliminer politiquement (Chronica, t. IV, éd. Stubbs, p. 25).


C’est dans cette épreuve que le roi dévoile une facette plus intime de sa personnalité. Retiré des affaires politiques, isolé de ses alliés, il fait appel non pas aux armes, mais aux mots, et compose l’un des textes les plus émouvants de la poésie médiévale en langue vernaculaire : Ja nus hons pris. Ce poème, transmis dans plusieurs chansonniers, est considéré par les spécialistes comme une complainte personnelle, à la frontière entre la lyrique courtoise et la poésie politique. Rédigé en ancien français d’oïl, puis traduit en langue d’oc, il témoigne de l’aisance linguistique de Richard, mais aussi de sa profonde maîtrise des codes troubadours. Le poème s’ouvre sur ces vers devenus célèbres : « Ja nus hons pris ne dira sa raison, / Adrechament, si com hom dolens non », que l’on peut traduire par « Jamais homme prisonnier ne dira sa situation comme il faut, s’il ne le fait en homme affligé ». Le manuscrit Paris, BNF, fr. 844 en conserve une version intégrale, accompagnée de notations musicales, preuve que la pièce était destinée à être chantée.


Dans ces lignes sobres et poignantes, Richard n’exalte ni la gloire de son passé ni la noblesse de son combat. Il évoque, avec un ton mesuré, sa détresse morale, son inquiétude quant au silence de ses alliés, et surtout, son amertume face à l’attentisme de ceux qu’il considérait comme des proches. La chanson est adressée, selon plusieurs traditions manuscrites, à sa demi-sœur Marie de Champagne, comtesse lettrée et fille d’Aliénor d’Aquitaine, grande protectrice des arts. Cette dédicace indirecte, perceptible dans certaines allusions textuelles, permet de lire le poème comme un appel implicite au secours, mais formulé selon les règles de la bienséance courtoise. L’expression « mes amis aux dons trop pauvres » désigne autant les vassaux qui tardent à lever la rançon que les alliés qui, par calcul ou indifférence, le laissent aux mains de ses geôliers. Cette stratégie de mise en scène poétique permet à Richard de faire entendre sa voix, tout en respectant les codes de retenue et d’honneur propres à son rang.


Le texte se distingue nettement des grandes chansons de geste contemporaines par son ton personnel et son usage du « je ». Contrairement aux récits épiques, qui glorifient les actions collectives ou les figures héroïques idéalisées, Ja nus hons pris est un document lyrique d’une rare sincérité, révélant les états d’âme d’un roi solitaire, démuni, mais fidèle aux vertus de courage et de dignité. L’historien Jean Flori, dans son ouvrage Richard Cœur de Lion : le roi-chevalier (Perrin, 1999), insiste sur le caractère inédit de cette expression personnelle dans la tradition royale, en affirmant que ce texte « fournit à la postérité une nouvelle image de cet homme aux talents multiples, roi, chevalier, poète et troubadour » (p. 287).


Ce recours à la poésie en temps de crise n’est pas seulement un témoignage artistique. Il s’inscrit dans une stratégie de communication politique, dans un monde où la parole chantée, relayée par les jongleurs et les cours, pouvait circuler plus librement que les missives diplomatiques. Par cette complainte, Richard cherche à rappeler son existence au cœur de l’Europe, à activer les réseaux familiaux et féodaux dont dépend sa libération. Le retentissement du texte dans les milieux aristocratiques contribue probablement à accélérer les tractations. En février 1194, Aliénor d’Aquitaine remet elle-même la rançon à l’empereur, et Richard est libéré.


Ja nus hons pris constitue aujourd’hui un jalon essentiel dans l’histoire de la poésie politique en langue vernaculaire. Il illustre avec une rare intensité la manière dont un roi, formé à la culture courtoise, mobilise les outils du troubadour pour défendre son honneur, appeler au secours, et affirmer son humanité. Ce texte, fruit d’une solitude imposée, vient achever l’image complexe de Richard, souverain médiéval qui aura su conjuguer l’épée et la plume jusque dans les heures les plus sombres de son existence.



Richard et Bertran de Born – une relation lyrique et politique
Richard et Bertran de Born – une relation lyrique et politique

Richard et Bertran de Born – une relation lyrique et politique
Richard et Bertran de Born – une relation lyrique et politique


3.3 Mécénat et vie de cour

Si Ja nus hons pris reste aujourd’hui la pièce la plus célèbre de Richard Cœur de Lion, son engagement dans le domaine des arts, et en particulier de la poésie lyrique, remonte à bien avant l’épisode de sa captivité. Dès sa jeunesse, alors qu’il est élevé à la cour d’Aquitaine, il évolue dans un environnement profondément imprégné de culture poétique. Sa mère, Aliénor d’Aquitaine, duchesse aux ambitions littéraires affirmées, entretient à Poitiers un cercle lettré fréquenté par de grands troubadours du Midi. Parmi eux, Bernart de Ventadour, l’un des maîtres incontestés de la lyrique courtoise, ou encore Gaucelm Faidit, dont les cansos ont été diffusées dans toute l’Europe méridionale. Ces poètes ne sont pas de simples musiciens de cour, mais des figures reconnues, invitées à dialoguer avec les princes et à participer à la construction symbolique du pouvoir par la parole chantée.


Loin de se contenter d’être un auditeur passif, Richard s’initie très tôt aux formes poétiques pratiquées dans cet univers. Sa formation, comme le rappellent plusieurs chroniqueurs, incluait non seulement les arts militaires, mais aussi la musique et la composition lyrique. Le sirventes intitulé Dalfin, je us voill desrenier, attribué à Richard par la tradition manuscrite, témoigne de cette participation active au jeu poétique. Cette pièce en langue d’oïl, à tonalité satirique, semble adressée au comte Dauphin d’Auvergne, lui-même poète. Elle illustre l’aptitude de Richard à manier les registres lyriques variés, de la plainte élégiaque à la joute verbale. Comme l’explique Simon Gaunt dans son étude sur les usages politiques de la poésie médiévale (Gender and Genre in Medieval French Literature, Cambridge University Press, 1995), les sirventes avaient pour fonction d’exprimer des prises de position implicites ou de régler, par le biais poétique, des tensions entre nobles. Le fait que Richard s’essaie à ce genre confirme son appartenance à une culture où poésie et politique s’interpénètrent.


Cette familiarité avec l’art lyrique est également renforcée par les influences familiales. Marie de Champagne, demi-sœur de Richard, protectrice des lettres et mécène de Chrétien de Troyes, poursuit à Troyes l’œuvre d’Aliénor en diffusant l’idéal courtois dans les régions de langue d’oïl. Dans ce milieu, la figure du prince lettré devient un modèle, et Richard semble en suivre l’exemple. Son goût prononcé pour la poésie est sans doute encouragé par ces femmes cultivées de son entourage, qui voient dans la lyrique courtoise un outil de civilisation des mœurs aristocratiques. Chrétien de Troyes lui-même écrit Le Conte du Graal sous le patronage de Marie, et mentionne dans sa dédicace la dimension morale et pédagogique que ces récits doivent porter. L’insertion de Richard dans ce réseau d’élites lettrées, qui inclut aussi des souverains voisins tels qu’Alphonse II d’Aragon, troubadour lui-même, témoigne d’un positionnement culturel conscient à l’échelle européenne.


La continuité de cet engagement artistique au-delà de la jeunesse se confirme lorsqu’il accède au trône en 1189. En tant que roi d’Angleterre et seigneur de vastes territoires continentaux, Richard attire à sa cour des poètes et des trouvères du nord de la France. Les manuscrits de la fin du XIIe siècle font état d’une circulation active des œuvres lyriques dans les domaines plantagenêts, avec la présence d’artistes itinérants bénéficiant de la protection royale. Après sa libération de captivité en février 1194, Richard récompense généreusement ses soutiens, comme le confirment plusieurs actes royaux conservés dans les Rotuli Chartarum (TNA, C 53/1, fol. 34v), certains adressés à des personnes identifiées comme chantres ou ménestrels, sans qu’il soit toujours possible de connaître leurs œuvres. Ces dons s’inscrivent dans une logique de réaffirmation du pouvoir par le geste de gratitude, mais aussi dans un système féodal de fidélité réciproque dans lequel les artistes ont un rôle à jouer.


L’image que Richard projette dans les sphères littéraires et politiques ne se réduit donc pas à celle d’un roi de guerre. Dès son vivant, les chroniqueurs et poètes s’attachent à bâtir une figure plus complexe. Roger de Hoveden et Guillaume de Newburgh, historiens anglo-normands, relatent en détail ses campagnes, mais n’ignorent pas les aspects plus controversés de son règne. Le second, dans son Historia rerum Anglicarum, déplore que tant de bravoure militaire ait pu s’accompagner d’excès de violence et d’impôts accablants. Il écrit : « Quid mirum si regnum gravatum est, cum gloria militis plus amari videbatur quam pax civium » – « Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que le royaume ait été accablé, quand la gloire du soldat semblait être aimée plus que la paix des citoyens » (éd. Howlett, 1885, t. I, p. 378). À l’opposé, le trouvère Ambroise, dans L’Estoire de la guerre sainte, dresse un portrait idéalisé du roi croisé, le comparant à Hector ou à Alexandre, en insistant sur son courage, sa courtoisie et sa loyauté, qualités par excellence du chevalier chrétien.


Cette construction d’une légende de Richard Cœur de Lion trouve son point d’ancrage dès son règne. Elle repose sur des éléments réels – sa bravoure, sa culture, son charisme – mais elle est aussi le fruit d’un travail littéraire et mémoriel engagé par les poètes et les chroniqueurs de son temps. En protégeant les artistes, en composant lui-même, et en faisant de la poésie une composante essentielle de son expression politique et personnelle, Richard contribue activement à ce récit. La figure du roi chevalier cultivé, développée de son vivant, connaîtra une postérité durable, amplifiée dans les siècles suivants jusqu’à devenir l’un des archétypes majeurs de la royauté médiévale dans l’imaginaire européen.


L’analyse du rôle de Richard Cœur de Lion en tant que mécène et acteur de la vie littéraire et artistique de son temps met en lumière la profondeur de son inscription dans les réseaux culturels de la fin du XIIe siècle. Loin de se contenter d’une posture décorative ou d’une fonction de représentation, il participe pleinement à la circulation des formes lyriques, au renouvellement des genres et à la transmission d’un idéal chevaleresque enrichi par la parole poétique. En accueillant troubadours et trouvères à sa cour, en composant lui-même des pièces lyriques, et en entretenant des liens étroits avec les principaux foyers culturels de l’Europe aristocratique, Richard affirme une vision du pouvoir qui intègre la culture lettrée comme levier d’influence et de prestige.


Cette dimension culturelle, si essentielle à la compréhension du règne de Richard, trouve un écho particulier dans les productions concrètes qui lui sont associées. À ce stade de l’analyse, il est nécessaire de s’attacher à des exemples précis qui illustrent les manifestations directes de cet engagement, en particulier dans le domaine de la poésie. Ces témoignages, transmis par les manuscrits médiévaux ou par les chroniques de son temps, permettent d’évaluer la portée réelle de son œuvre et la manière dont sa mémoire s’est construite et perpétuée dans les milieux lettrés.


Il ne s’agit pas ici d’élargir le propos par des interprétations modernes, mais bien d’examiner, à la lumière des sources conservées, quelques éléments concrets qui éclairent la complexité du personnage. En abordant les textes attribués à Richard, la réception de ses poèmes, ou encore les récits qui entourent ses productions, on accède à une dimension incarnée du roi poète. Le cas particulier de sa chanson de captivité, transmise dans plusieurs traditions manuscrites et évoquée avec insistance par les chroniqueurs, constitue à cet égard une entrée privilégiée dans la compréhension de son œuvre personnelle et de son rayonnement symbolique. C’est à cette pièce singulière que s’ouvre à présent la dernière partie de cette étude.


Alors que la vie de cour de Richard Cœur de Lion révèle un souverain entouré d’artistes, de poètes et de musiciens, son rapport au monde littéraire ne s’arrête pas à la sphère du mécénat. Il ne se contente pas de soutenir les voix des autres : il en est lui-même une. Les sources le montrent non seulement comme protecteur des troubadours, mais aussi comme acteur à part entière de la création poétique. Cette implication directe dans l’expression artistique, qu’elle prenne la forme de vers personnels ou d’interventions verbales en contexte politique, nourrit une part essentielle de son image à la fois publique et intime.


C’est à travers l’étude de cas concrets – poèmes, manuscrits, traditions littéraires et anecdotes rapportées par les chroniqueurs – que cette dimension se donne à voir avec le plus de clarté. Les chapitres qui suivent s’attachent ainsi à analyser les manifestations les plus notables de cette facette poétique de Richard, qu’il s’agisse de sa célèbre complainte de captivité, des récits postérieurs qui ont nourri sa légende, ou encore des échanges poétiques qui témoignent de son esprit acéré. Ces exemples offrent un éclairage précieux sur la manière dont la figure du roi s’est incarnée, transmise et transformée dans les mémoires et les textes.



La diffusion manuscrite de Ja nus hons pris hors de France
La diffusion manuscrite de Ja nus hons pris hors de France

La diffusion manuscrite de Ja nus hons pris hors de France
La diffusion manuscrite de Ja nus hons pris hors de France


4. Exemples notables et anecdotes 


4.1 La « chanson de captivité » et sa tradition manuscrite

Parmi les rares témoignages lyriques issus directement d’un souverain médiéval, Ja nus hons pris occupe une place tout à fait singulière. Composée durant la captivité de Richard Cœur de Lion entre 1192 et 1194, cette complainte, dans laquelle le roi exprime sa détresse, son attente et son espoir, a non seulement traversé les murs de sa prison, mais aussi les siècles. Sa transmission manuscrite, attestée dès le XIIIe siècle, révèle la réception durable de cette œuvre dans les milieux lettrés et poétiques de l’Occident médiéval.


Le poème nous est parvenu sous deux formes linguistiques distinctes : l’une en ancien français, langue d’oïl, et l’autre en occitan. La version la plus ancienne, Ja nus hons pris ne dira sa reson, figure dans un chansonnier de trouvères conservé à la Bibliothèque nationale de France (Paris, BnF, fr. 844, fol. 127r), accompagnée de sa notation musicale, preuve que le texte était destiné à être chanté. Quant à la version occitane, Ja nuls hom pres non dira sa razon, elle apparaît dans plusieurs recueils de poésie troubadouresque, notamment dans le Chansonnier provençal R (BNF, ms. fr. 22543), où elle est insérée parmi les œuvres de poètes du Midi. Cette double tradition manuscrite témoigne de la diffusion géographique du texte et de sa réception dans des sphères culturelles distinctes, bien que voisines.


Longtemps, les philologues et historiens de la littérature ont supposé que Richard avait composé son poème directement en langue d’oc, conformément à l’héritage poétique de sa mère Aliénor d’Aquitaine et de son duché d’origine. Cette hypothèse reposait en grande partie sur la présence du texte dans des manuscrits provençaux et sur le goût personnel du roi pour la lyrique occitane. Cependant, les travaux plus récents de la médiéviste Charmaine Lee, publiés dans la Revue des langues romanes (2017, t. 121, p. 153-178), ont montré que la version originale était très probablement rédigée en ancien français, l’occitan n’en constituant qu’une adaptation secondaire. L’analyse lexicale, la structure métrique et la tradition manuscrite confirment cette antériorité de la version d’oïl, plus cohérente avec la sphère politique de Richard au moment de sa captivité, alors qu’il s’adressait en priorité à des interlocuteurs du nord de la France et d’Angleterre.


Quelles que soient les modalités exactes de cette double transmission, il est certain que le poème a connu une large diffusion. Son contenu, à la fois personnel et stylisé, a sans doute contribué à son succès. Le fait qu’un roi en exercice, prisonnier, s’exprime en vers sur son isolement et sa détresse, est un phénomène rare dans l’histoire littéraire médiévale. La sincérité apparente du ton, alliée à la maîtrise formelle du texte, a séduit les copistes et les interprètes. Certains manuscrits ajoutent des gloses marginales expliquant que l’auteur de la chanson est le roi d’Angleterre détenu en Allemagne, signe d’un effort de contextualisation destiné à préserver la mémoire de l’événement et du personnage.


Le poème circula bien au-delà de la mort de Richard, survenue en 1199. Des copies postérieures témoignent de sa persistance dans les anthologies lyriques, ce qui indique que Ja nus hons pris fut considéré non comme une curiosité ponctuelle, mais comme un texte à part entière du répertoire poétique. Dans les études contemporaines, il est souvent rapproché des planhs occitans, poèmes de lamentation ou de deuil, bien qu’il n’en respecte pas toutes les conventions. Son originalité tient à ce qu’il mêle le registre courtois à une dimension politique implicite, adressant un reproche voilé aux alliés qui tardent à lever sa rançon. Cette tension entre l’intime et le public, entre l’élégie et l’appel à la solidarité, lui confère une profondeur qui a sans doute favorisé sa conservation.


La tradition manuscrite de Ja nus hons pris montre ainsi que Richard Cœur de Lion n’a pas seulement été un roi guerrier ou un mécène des arts. Il a su, dans l’un des moments les plus sombres de son existence, produire une œuvre lyrique capable de franchir les siècles, portée par la plume attentive des copistes et le respect des lecteurs médiévaux. À travers ce poème, c’est aussi une certaine idée de la dignité royale qui se transmet : celle d’un souverain qui, même enchaîné, s’exprime avec noblesse et fidélité aux arts de la parole.



Le tenso, forme dialogique de la lyrique courtoise
Le tenso, forme dialogique de la lyrique courtoise

Le tenso, forme dialogique de la lyrique courtoise
Le tenso, forme dialogique de la lyrique courtoise

4.2 Légende du trouvère Blondel de Nesle

Parmi les récits les plus attachés à la figure de Richard Cœur de Lion, peu ont connu une fortune aussi durable que celui du trouvère Blondel de Nesle, parti à la recherche de son roi captif. La légende, qui naît tardivement mais s’enracine solidement dans l’imaginaire européen, raconte qu’un ménestrel fidèle, nommé Blondel, aurait arpenté les routes du Saint-Empire après la disparition de Richard en 1192. De château en château, le trouvère aurait chanté à pleine voix un air qu’il avait jadis composé avec le roi. Un jour, parvenu aux abords d’une forteresse inconnue, il aurait entendu une voix familière reprendre la mélodie : c’était celle du roi prisonnier. Grâce à cette reconnaissance mutuelle, le lieu de détention aurait été identifié et Richard, localisé, aurait pu être libéré.


Ce récit, profondément romanesque, s’est imposé avec force dans les représentations postérieures du roi troubadour. Il fut popularisé au XIXe siècle dans les littératures européennes, notamment par les écrivains romantiques anglais comme Walter Scott, qui en propose une version dans Ivanhoé (1819), puis dans les adaptations lyriques ou théâtrales de la période. L’image du souverain héroïque, trahi par ses pairs mais retrouvé par la loyauté d’un poète, séduisait une époque avide de récits chevaleresques et de fidélité absolue. Dans cette version idéalisée, Blondel devient le symbole de la fidélité lyrique, de l’amitié sincère et de la puissance de l’art qui triomphe même des geôles impériales.


Cependant, les faits historiques connus ne corroborent pas cette tradition. Aucun document contemporain de Richard ne mentionne l’épisode. La première version identifiable de l’histoire n’apparaît qu’au XVIe siècle, sous la plume de l’humaniste Claude Fauchet, qui rapporte dans ses Recueils de l’origine de la langue et poésie française (1581) que le ménestrel Blondel aurait retrouvé son seigneur captif en chantant une chanson connue de lui seul. Fauchet ne cite pas de source précise et semble relayer une tradition orale ou une fiction déjà formée à son époque. Les études modernes, notamment celles de R. H. Fajardo dans Blondel de Nesle and the Richard the Lionheart Legend (Speculum, vol. 47, 1972, p. 234-250), ont confirmé que l’anecdote repose davantage sur un processus d’idéalisation romantique que sur un fondement documentaire.


Par ailleurs, les circonstances réelles de la captivité de Richard invalident l’hypothèse d’un emprisonnement secret. En réalité, dès sa capture par le duc Léopold d’Autriche en décembre 1192, la nouvelle est largement diffusée en Europe. L’empereur Henri VI, à qui le roi est livré, n’a aucun intérêt à dissimuler le lieu de détention. Bien au contraire, il fait savoir que le roi d’Angleterre est son prisonnier afin de monnayer sa libération. Roger de Hoveden rapporte ainsi que « l’annonce de sa captivité courut dans tout le royaume comme un vent furieux, éveillant chez ses sujets plus d’angoisse que de surprise » (Chronica, t. IV, éd. Stubbs, p. 36). Des lettres sont échangées avec Aliénor d’Aquitaine, le pape et les autres souverains d’Europe, et les négociations de rançon sont menées à visage découvert. Il n’est donc nullement question de quête secrète ou de dissimulation stratégique.


Quant au véritable Blondel de Nesle, il s’agit d’un trouvère actif à la cour de Champagne dans les années 1180-1200, dont les chansons d’amour, conservées dans plusieurs chansonniers, sont bien connues des spécialistes. L’édition critique de ses œuvres, établie par Joseph Bédier au début du XXe siècle, ne contient aucun élément permettant de l’associer à Richard Ier, ni par les textes, ni par les dédicaces, ni par les contextes évoqués. Blondel appartient plutôt au cercle de Marie de Champagne, protectrice des lettres et demi-sœur du roi, mais aucun lien direct n’est attesté entre les deux hommes. Il ne semble pas avoir quitté le domaine capétien et ne joue aucun rôle politique connu.


La légende du trouvère fidèle relève donc de la construction littéraire. Elle illustre moins un fait qu’une certaine réception de Richard Cœur de Lion dans la mémoire collective. Le roi poète, magnifié pour ses exploits et sa sensibilité artistique, se prête naturellement à un récit où la musique devient vecteur de salut, où l’amitié poétique se substitue à l’action politique, et où la voix chantée devient outil de reconnaissance. Cette fable, en dépit de son inexactitude historique, reflète la manière dont les contemporains des siècles suivants ont voulu penser le Moyen Âge : un âge de fidélité pure, d’art chevaleresque, et de noblesse d’âme. À ce titre, la chanson de Blondel appartient pleinement à la postérité mythique du roi troubadour.


Si la légende de Blondel de Nesle appartient davantage à la construction romantique de la mémoire de Richard Cœur de Lion qu’aux réalités de son temps, elle témoigne néanmoins d’un fait historique incontestable : l’association persistante entre le roi et l’univers de la poésie. Qu’elle soit fidèle ou fictionnelle, cette imagerie du roi-poète, capable de dialoguer avec les trouvères et de composer en captivité, s’est enracinée dans les récits dès le Moyen Âge, signe de la puissance symbolique de cette dualité entre souveraineté et expression artistique.


Cependant, au-delà des récits tardifs et de l’idéalisation posthume, les sources contemporaines livrent des indices plus tangibles d’une activité poétique consciente et cultivée chez Richard. Il ne se limite pas à composer seul dans les moments d’épreuve : il participe à des échanges formels avec d’autres poètes de son temps, selon les codes établis de la lyrique courtoise et satirique. Ce goût pour la poésie dialoguée, pour l’improvisation habile ou le vers piquant, trouve sa place dans les pratiques aristocratiques du XIIe siècle, où les talents littéraires constituent une part essentielle du savoir-vivre nobiliaire. Les cours du Midi et du nord de la France cultivent cet art du débat versifié, souvent pratiqué par les seigneurs eux-mêmes.


Ainsi, il convient d’examiner plus précisément la participation de Richard à ces formes poétiques interactives. Les témoignages de joutes verbales et de tensons entre le roi et d’autres figures lettrées, comme le comte troubadour Dalfi d’Alvernha, offrent un éclairage précieux sur la dimension dialogique de sa pratique artistique. Dans cet environnement où la verve et l’esprit comptent autant que la bravoure, Richard se distingue par une parole vive, aiguisée, toujours au service de la mise en scène de son autorité et de son rang. C’est cette capacité à manier l’arme du langage, dans les cercles poétiques comme sur les champs de bataille, qui constitue l’objet du chapitre suivant.



Poésie, pouvoir et image publique dans les cours médiévales
Poésie, pouvoir et image publique dans les cours médiévales
Poésie, pouvoir et image publique dans les cours médiévales
Poésie, pouvoir et image publique dans les cours médiévales

4.3 Joutes poétiques et verbales

Au-delà de ses exploits militaires et de son œuvre lyrique personnelle, Richard Cœur de Lion est aussi décrit, dans plusieurs traditions, comme un homme habile à manier la parole, que ce soit sous forme poétique ou dans le cadre de provocations verbales à haute valeur symbolique. Son éducation raffinée, son goût prononcé pour les arts de la cour et les pratiques de la lyrique troubadouresque le placent parmi les rares souverains de son temps capables d’intervenir directement dans les joutes poétiques pratiquées dans les cours aristocratiques. Ces affrontements littéraires, appelés tensons ou sirventes selon leur forme, opposaient deux poètes dans un débat souvent piquant, aux accents amoureux, satiriques ou philosophiques.


L’un des épisodes les plus fréquemment évoqués dans ce domaine concerne un échange poétique entre Richard et le comte d’Auvergne Dalfi d’Alvernha, lui-même poète reconnu et protecteur des arts. Plusieurs manuscrits du XIIIe siècle, dont le Chansonnier provençal R, conservent un sirventes intitulé Dalfin, je us voill desrenier, attribué à Richard, et répondant à un poème du comte. Ce type de composition s’inscrit dans la tradition du débat lyrique courtois : chaque vers ou strophe appelle une réponse, dans un jeu d’adresse et de finesse. Le ton y est libre, parfois satirique, parfois badin, mais toujours réglé selon les codes de la poésie troubadouresque. Si les historiens ne peuvent dater avec certitude l’échange entre les deux hommes, il est attesté que Dalfi d’Alvernha participa à de nombreuses tensons avec d’autres auteurs de son temps, et que Richard maîtrisait parfaitement la langue et les formes lyriques de l’Occitanie du nord.


Cette compétence dans l’art du mot n’était pas seulement littéraire. Elle participait d’une forme de prestige aristocratique, dans laquelle savoir composer, répondre ou improviser faisait partie des attributs de la haute culture. Le prince devait être à la fois preux et subtil, prompt à la répartie comme à l’épée. Richard ne déroge pas à cette règle. Son biographe contemporain Ambroise, dans L’Estoire de la guerre sainte, note que le roi aimait provoquer ses alliés ou ses ennemis par des gestes éloquents ou des paroles cinglantes. Il rapporte qu’au siège d’Acre, excédé par les hésitations du roi de France et des autres commandants croisés, Richard fit arborer ses propres étendards sur les tours nouvellement prises, sans attendre l’approbation de ses pairs. Ce geste, hautement symbolique, est qualifié par Ambroise de « parole d’action », plus forte que toute délibération. Il écrit : « Le roi Richard, las d’attendre, fit parler la bannière plus que le conseil. » (L’Estoire, v. 4127-4135, éd. Gaston Paris).


D’autres chroniqueurs, comme Roger de Hoveden, décrivent le roi comme un homme vif, à la langue acérée, capable de faire taire un interlocuteur par un trait d’esprit ou une ironie bien placée. Ces talents oratoires, souvent rapportés sous forme d’anecdotes, traduisent une capacité à mettre en scène son autorité autant qu’à imposer sa volonté. En cela, Richard prolonge par les mots la théâtralité de la guerre et de la cour, deux lieux où le pouvoir s’exprime autant par la force que par la parole maîtrisée.


Les joutes poétiques auxquelles il prend part, qu’elles soient attestées ou rapportées par tradition, témoignent ainsi de l’image complexe qu’il projette dans son temps. Souverain lettré, formé dans l’univers raffiné d’Aquitaine et de Champagne, Richard s’inscrit dans la lignée des princes-poètes pour qui le langage, en plus des armes, constitue un vecteur essentiel de prestige et d’affirmation. Dans le monde féodal du XIIe siècle, savoir rimer, défier ou séduire par les mots relevait d’un art complet de gouverner et de rayonner. Richard en fit une arme à part entière.


Si la légende de Blondel de Nesle appartient davantage à la construction romantique de la mémoire de Richard Cœur de Lion qu’aux réalités de son temps, elle témoigne néanmoins d’un fait historique incontestable : l’association persistante entre le roi et l’univers de la poésie. Qu’elle soit fidèle ou fictionnelle, cette imagerie du roi-poète, capable de dialoguer avec les trouvères et de composer en captivité, s’est enracinée dans les récits dès le Moyen Âge, signe de la puissance symbolique de cette dualité entre souveraineté et expression artistique.


Cependant, au-delà des récits tardifs et de l’idéalisation posthume, les sources contemporaines livrent des indices plus tangibles d’une activité poétique consciente et cultivée chez Richard. Il ne se limite pas à composer seul dans les moments d’épreuve : il participe à des échanges formels avec d’autres poètes de son temps, selon les codes établis de la lyrique courtoise et satirique. Ce goût pour la poésie dialoguée, pour l’improvisation habile ou le vers piquant, trouve sa place dans les pratiques aristocratiques du XIIe siècle, où les talents littéraires constituent une part essentielle du savoir-vivre nobiliaire. Les cours du Midi et du nord de la France cultivent cet art du débat versifié, souvent pratiqué par les seigneurs eux-mêmes.


Ainsi, il convient d’examiner plus précisément la participation de Richard à ces formes poétiques interactives. Les témoignages de joutes verbales et de tensons entre le roi et d’autres figures lettrées, comme le comte troubadour Dalfi d’Alvernha, offrent un éclairage précieux sur la dimension dialogique de sa pratique artistique. Dans cet environnement où la verve et l’esprit comptent autant que la bravoure, Richard se distingue par une parole vive, aiguisée, toujours au service de la mise en scène de son autorité et de son rang. C’est cette capacité à manier l’arme du langage, dans les cercles poétiques comme sur les champs de bataille, qui constitue l’objet du chapitre suivant.


Les talents poétiques et oratoires de Richard Cœur de Lion, qu’il exerçait aussi bien dans les cours raffinées d’Aquitaine que dans les contextes de rivalité politique ou militaire, révèlent une personnalité capable de conjuguer l'art de la guerre avec celui des mots. Loin d’être anecdotique, cette dimension verbale de son autorité s’intégrait pleinement dans les pratiques aristocratiques du XIIe siècle, où la mise en scène de la parole contribuait au prestige du prince. Les joutes poétiques, comme les provocations verbales sur les champs de bataille, faisaient partie intégrante de son identité de souverain cultivé, maîtrisant aussi bien les armes que la rhétorique.


Cependant, cette capacité à briller par l’esprit ne suffit pas à prémunir Richard contre les réalités du pouvoir. Lorsque le roi d’Angleterre est capturé à son retour de croisade, à la fin de l’année 1192, c’est un tout autre registre qui s’ouvre : celui de la diplomatie impériale et des rapports de force entre les grandes puissances de l’Occident. Les enjeux cessent alors d’être littéraires ou symboliques pour s’inscrire dans les dynamiques géopolitiques qui traversent l’Europe du XIIe siècle. La captivité de Richard devient immédiatement un levier stratégique pour ses ennemis, un moyen de chantage pour ses geôliers, et un casse-tête diplomatique pour ses alliés.


Parmi les documents témoignant de cette tension internationale, certaines lettres d’époque permettent de saisir la portée politique de la détention du roi croisé. L’une des plus significatives est celle adressée par l’empereur Henri VI à Philippe Auguste à la fin de l’année 1192. Ce courrier, rédigé dans un contexte de triomphe apparent pour l’Empire, met en lumière la manière dont la personne même de Richard devenait un enjeu diplomatique de premier ordre. Avant d’aborder le contenu de cette lettre, il convient donc de rappeler le rôle stratégique que jouait la monarchie anglaise dans le système des puissances, et de comprendre comment la captivité d’un seul homme pouvait déclencher une chaîne de tractations politiques à l’échelle européenne.


4.4 Une lettre de l’empereur Henri VI

La captivité de Richard Cœur de Lion entre 1192 et 1194 constitue non seulement un événement marquant de son règne, mais également un moment-clé dans les équilibres politiques européens de la fin du XIIe siècle. Si les chroniques et la littérature ont souvent mis l’accent sur l’épreuve personnelle que représenta cet emprisonnement, les documents diplomatiques contemporains révèlent un autre versant de cette affaire : celui d’une crise internationale, dans laquelle la détention du roi d’Angleterre devenait une carte majeure entre les mains de ses adversaires. L’un des témoignages les plus explicites de cette instrumentalisation politique est une lettre rédigée par l’empereur Henri VI du Saint-Empire romain germanique, datée du 28 décembre 1192, et adressée au roi de France Philippe Auguste.


Ce courrier, conservé par fragments dans les chroniques de Roger de Hoveden et dans les Monumenta Germaniae Historica, manifeste le triomphe affiché par Henri VI au lendemain de la capture de Richard par son vassal, le duc Léopold d’Autriche. L’empereur y écrit qu’il tient « enfin l’ennemi de [son] empire entre [ses] mains », allusion directe au soutien que Richard avait accordé aux Guelfes, opposants du pouvoir impérial en Italie. Ce grief, évoqué à plusieurs reprises dans les sources impériales, servait de justification formelle à l’incarcération d’un roi chrétien, acte délicat en temps de paix, surtout lorsqu’il s’agissait d’un croisé récemment rentré de Terre sainte.


La lettre d’Henri VI ne constitue pas seulement une déclaration de pouvoir. Elle est aussi un outil diplomatique, envoyé à un autre acteur majeur de l’échiquier européen, Philippe Auguste. En informant ce dernier de l’emprisonnement de Richard, l’empereur entend sceller une alliance implicite, ou à tout le moins encourager une convergence d’intérêts. Le roi de France, ennemi déclaré de Richard depuis leur conflit en croisade et rival en Normandie, aurait alors proposé de payer pour que l’Angleterre soit privée plus longtemps de son souverain. Plusieurs chroniqueurs, dont Guillaume le Breton et Gervais de Canterbury, rapportent que Philippe aurait écrit à l’empereur : « Gardez-le bien, car tant qu’il vivra, votre paix avec moi sera certaine. »


Cette correspondance met en lumière les enjeux profonds de la captivité : il ne s’agissait pas d’une simple affaire d’honneur féodal, mais d’une lutte de pouvoir à l’échelle continentale. Henri VI, en monnayant la liberté de Richard, entendait financer ses projets politiques en Italie et affirmer sa prééminence sur les rois d’Occident. La rançon exigée, évaluée à cent mille marcs d’argent, représentait un montant colossal, soit plus de deux années de revenus pour la couronne anglaise. Elle fut pourtant levée en moins d’un an, grâce à une mobilisation générale orchestrée par la régente Aliénor d’Aquitaine, assistée des autorités ecclésiastiques et des barons loyaux. Des documents comptables conservés dans les Pipe Rolls de l’année 1193 témoignent de la levée exceptionnelle de taxes et de dons destinés à réunir cette somme.


Parallèlement, Aliénor adressa plusieurs lettres au pape Célestin III, implorant son intervention en faveur de la libération de son fils. L’Église, consciente du scandale que représentait l’enfermement d’un roi croisé, exerça effectivement des pressions sur l’empereur pour qu’il respecte la dignité royale. Henri VI, redoutant une condamnation morale plus qu’un conflit armé, céda aux injonctions pontificales et aux réalités financières. Le traité de libération fut signé à Spire en février 1194, et Richard fut libéré contre rançon le 4 février, avant de regagner l’Angleterre.


La lettre de l’empereur Henri VI, dans ce contexte, revêt une importance majeure. Elle constitue l’un des rares témoignages directs du discours impérial sur la captivité, et permet de comprendre comment la figure de Richard fut manipulée, au sens politique, par ses ennemis. Elle révèle également combien, même privé de liberté, le roi d’Angleterre restait une figure centrale du jeu diplomatique. Objet de négociations, de calculs et de rivalités, sa personne cristallisait les tensions entre les grandes puissances, et son sort illustre parfaitement la place qu’occupait la monarchie anglo-angevine dans la géopolitique du XIIe siècle.


Les talents poétiques et oratoires de Richard Cœur de Lion, qu’il exerçait aussi bien dans les cours raffinées d’Aquitaine que dans les contextes de rivalité politique ou militaire, révèlent une personnalité capable de conjuguer l'art de la guerre avec celui des mots. Loin d’être anecdotique, cette dimension verbale de son autorité s’intégrait pleinement dans les pratiques aristocratiques du XIIe siècle, où la mise en scène de la parole contribuait au prestige du prince. Les joutes poétiques, comme les provocations verbales sur les champs de bataille, faisaient partie intégrante de son identité de souverain cultivé, maîtrisant aussi bien les armes que la rhétorique.


Cependant, cette capacité à briller par l’esprit ne suffit pas à prémunir Richard contre les réalités du pouvoir. Lorsque le roi d’Angleterre est capturé à son retour de croisade, à la fin de l’année 1192, c’est un tout autre registre qui s’ouvre : celui de la diplomatie impériale et des rapports de force entre les grandes puissances de l’Occident. Les enjeux cessent alors d’être littéraires ou symboliques pour s’inscrire dans les dynamiques géopolitiques qui traversent l’Europe du XIIe siècle. La captivité de Richard devient immédiatement un levier stratégique pour ses ennemis, un moyen de chantage pour ses geôliers, et un casse-tête diplomatique pour ses alliés.


Parmi les documents témoignant de cette tension internationale, certaines lettres d’époque permettent de saisir la portée politique de la détention du roi croisé. L’une des plus significatives est celle adressée par l’empereur Henri VI à Philippe Auguste à la fin de l’année 1192. Ce courrier, rédigé dans un contexte de triomphe apparent pour l’Empire, met en lumière la manière dont la personne même de Richard devenait un enjeu diplomatique de premier ordre. Avant d’aborder le contenu de cette lettre, il convient donc de rappeler le rôle stratégique que jouait la monarchie anglaise dans le système des puissances, et de comprendre comment la captivité d’un seul homme pouvait déclencher une chaîne de tractations politiques à l’échelle européenne.


L’analyse de la lettre de l’empereur Henri VI, document diplomatique de première importance, permet de mesurer la portée politique de la captivité de Richard Cœur de Lion bien au-delà de sa dimension personnelle. Ce texte, en explicitant les enjeux de pouvoir liés à la détention d’un roi croisé, met en lumière l’inscription de Richard au cœur des rivalités impériales et royales de la fin du XIIe siècle. Son emprisonnement fut bien plus qu’un épisode isolé : il s’inscrivit dans un système d’alliances mouvantes, de jeux d’influence entre les grandes puissances européennes, et de négociations internationales où la figure même du roi devenait un objet de tractation.


Toutefois, les multiples visages de Richard ne sauraient se réduire à la seule logique de pouvoir. Loin d’être une figure figée dans son rôle de chef de guerre ou de souverain captif, il apparaît au fil des sources comme un homme complexe, à l’intersection de sphères politiques, culturelles et symboliques. Les éléments étudiés jusqu’ici — qu’ils relèvent de la poésie, du mécénat, des chroniques militaires ou des lettres diplomatiques — tracent les contours d’un souverain dont la singularité réside précisément dans la coexistence de ces registres. Richard agit sur le terrain, compose en vers, inspire les chants des trouvères et les craintes des chancelleries.


À présent, alors que l’ensemble des manifestations de cette dualité a été mis en lumière, il convient d’en tirer une synthèse factuelle. La conclusion de cette étude permettra ainsi de replacer la figure de Richard dans son temps, tout en soulignant les raisons profondes pour lesquelles il continue d’occuper une place à part dans l’historiographie médiévale. Le roi guerrier et le prince poète, loin de se contredire, cohabitent dans une représentation de la royauté où bravoure et culture ne sont pas dissociées, mais indissociablement liées. C’est à cette articulation essentielle que se consacre le dernier chapitre.


5. Conclusion

Au terme de cette étude, la figure de Richard Cœur de Lion se dessine avec une netteté singulière, à la croisée de deux univers qui, loin de s’opposer, s’interpénètrent pour façonner l’un des profils les plus emblématiques de la monarchie médiévale. Souverain guerrier, chef de guerre redouté, croisé victorieux, Richard s’impose d’abord comme l’archétype du roi-chevalier, incarnation vivante des idéaux féodaux du XIIe siècle. Son surnom, « Cœur de Lion », forgé de son vivant et consacré par la postérité, atteste de cette réputation forgée par le feu des batailles et par le regard des chroniqueurs, fascinés par son audace. Roger de Hoveden le qualifie de « bellator acerrimus et strenuus defensor fidei », c’est-à-dire « guerrier des plus ardents et défenseur zélé de la foi », soulignant la place centrale qu’il occupait sur l’échiquier politique et religieux de son temps (Chronica, éd. Stubbs, t. IV, p. 32).


Mais cette posture héroïque ne saurait résumer le personnage. Richard est également l’héritier d’une culture raffinée, celle des cours d’Aquitaine et de Champagne, où la lyrique des troubadours côtoie la sagesse des clercs. Élevé dans un environnement propice aux lettres, formé à la musique, à la versification et aux subtilités de l’amour courtois, il développe une sensibilité poétique rare pour un monarque. Il compose lui-même plusieurs pièces, dont Ja nus hons pris, poème poignant né de sa captivité, qui mêle plainte personnelle et appel politique. Transmis dans plusieurs traditions manuscrites, ce texte témoigne d’un lien authentique entre l’expérience vécue et l’expression littéraire. Comme l’écrit Jean Flori, « la complainte de captivité fournit à la postérité une nouvelle image de cet homme aux talents multiples, roi, chevalier, poète et troubadour » (Richard Cœur de Lion, le roi-chevalier, 1999, p. 313).


Loin d’être anecdotique, cette dualité nourrit un imaginaire qui s’est maintenu bien au-delà du XIIe siècle. Dès les décennies suivant sa mort en 1199, les récits de ses faits d’armes, ses chansons et même les légendes qui se sont greffées à sa mémoire – comme celle de Blondel de Nesle – participent à la construction d’un mythe royal. Dans certaines régions d’Angleterre, on rapportait encore aux siècles suivants que des mères menaçaient leurs enfants turbulents en évoquant « le roi Richard qui revient de la croisade ». Ce topos du roi justicier, protecteur et vengeur, se retrouve jusque dans les cycles de Robin des Bois, où il incarne le souverain absent mais légitime, dont le retour rétablit l’ordre et la justice.


Aujourd’hui, les travaux d’historiens comme Martin Aurell, John Gillingham ou Jean Flori permettent d’éclairer cette figure médiévale au prisme d’une approche rigoureuse, croisant les sources narratives, diplomatiques et littéraires. Ils s’accordent à reconnaître en Richard un acteur politique habile, certes parfois brutal, mais aussi un homme de culture à part entière. Son mécénat, ses joutes poétiques, son usage de la langue comme de l’épée, traduisent une vision du pouvoir nourrie autant par la tradition féodale que par les exigences de l’art de régner au sein d’une Europe en recomposition.

Figure fascinante du Moyen Âge central, Richard Cœur de Lion continue de captiver, précisément parce qu’il incarne la fusion entre deux pôles de l’idéal aristocratique : la force et l’esprit. À la fois modèle de bravoure et d’intelligence cultivée, il demeure un témoin éclatant de cette époque où l’héroïsme passait autant par la plume que par la lame.



 

Jà nus hons pris

Richard Cœur de Lion

Rotrouenge du Captif

Texte établi par Paulin Paris, J. Renouard, 1838 (p. 295-297).


1.

Jà nus hons pris ne dira sa raisonAdroitement, sé dolentement non ;Mais, por confort, puet-il faire chanson.Moult ai d’amis, mais povre sont li don ;Honte en auront, sé por ma réançonSui ces deus yvers pris.


2.

Ce savent bien mi home et mi baron,Englois, Normant, Poitevin et Gascon,Que je n’avoie si povre compagnonQue je laissaisse, por avoir, en prison.Je nou lo dis por nule retraiçon,Mais encor sui-je pris.


3.

Or sai-je bien, de voir certainement,Que moi ne prisent né amin né parent,Quant on me laist, por or né por argent.Moult est de moi, mais plus m’est de ma gent ;

Qu’après ma mort auront reprovier grant,Sé longement sui pris.


4.

N’est pas merveille sé j’ai lo cuer dolent,Quant mes sires tient ma terre à torment ;Sé li membroit de nostre sairementQue nos féismes amdui, communaument,Bien sai, de voir, que céans longementNe seroie pas pris.


5.

Mes compaignons que j’amoie et que j’aim,Ces de Caeu et ces de Porcherain,Dis-lor, chanson, que ne sunt pas certain ;Qu’onques vers aus n’en oi cuer faus né vain.S’il me guerroient, il font mout que vilain,Tant cum je serai pris.


6.

Ce savent bien Angevin et Torain,Cil bacheler qui or sont riche et sain,Qu’encombrés sui loin d’aus, en autrui main ;Forment m’aidaissent, mais il n’i voient grain :De beles armes sont ore vuit cil plain,Por tant que je sui pris.

Contesse, suer vostre pris souverain,Vous saut et gart cil à qui je m’enclain,Et por qui je suis pris ;Je ne dis pas de cele de Chartain,

La mère Loéis.


 

Jamais un prisonnier ne s’exprimera sincèrement, s’il ne montre de la tristesse.

Por avoir, par faute de donner du mien.

Retraiçon, revendication, réclamation

Mes sires, le roi de France.

De Caeu, Anseau de Caeu, qui se croisa, avec les comtes de Flandre et de Saint-Pol, sans doute pour avoir trop bien répondu, en 1195, à l’appel de Richard. — Joffroi, comte de Perche, étoit revenu de la croisade avec Philippe-Auguste, et dans le temps que Richard écrivoit cette chanson, il étoit encore attaché aux intérêts du roi de France. Mais il s’étoit réconcilié bientôt après avec l’Anglois. Nous l’avons vu au nombre des croisés.

Certain, constans, fidèles.

« Maintenant ces contrées ne voient plus faire de belles armes depuis que je « suis pris. » Le vers est obscur, et je ne suis pas bien sûr de la traduction que je soumets ici. Peut-être faudroit-il lire :

De beles armes sont ore tuit cil plain.

C’est-à-dire d’une façon proverbiale : Ils ſont tous blanc de leur épée.

Contesse suer. C’est Marie de France, comtesse de Champagne, fille de Louis VII et d’Alienor, mère de Richard. Marie gouvernoit la Champagne en l’absence de son mari croisé. — Voici la traduction complète de cet envoi : « Ma sœur la comtesse, puisse le Dieu, à la volonté duquel je me soumets, et pour lequel je suis pris, vous conserver vos honneurs et votre terre ; je ne forme pas ces vœux-là pour la comtesse de Chartres, la mère de Louis. » Ce passage prouve que Richard croyoit alors avoir à se plaindre d’Alix, sœur de Marie de France et alors veuve de Thibaud V, comte de Blois et de Chartres.



 

Richard Cœur de Lion en croisé, peint par Merry-Joseph Blondel au XIXᵉ siècle, conservé au château de Versailles.  Ce portrait idéalisé présente Richard Ier d’Angleterre, dit Cœur de Lion, sous les traits d’un souverain croisé : couronné, en armure partielle, et drapé dans un manteau royal semé d’hermine. L'artiste mêle habilement les codes visuels de la chevalerie chrétienne – avec la croix blanche sur la poitrine – à ceux de la royauté médiévale – avec le manteau orné de pierreries et de motifs fleurdelisés.
Richard Cœur de Lion en croisé, peint par Merry-Joseph Blondel au XIXᵉ siècle, conservé au château de Versailles.

Richard Cœur de Lion en croisé, peint par Merry-Joseph Blondel au XIXᵉ siècle, conservé au château de Versailles.

Ce portrait idéalisé présente Richard Ier d’Angleterre, dit Cœur de Lion, sous les traits d’un souverain croisé : couronné, en armure partielle, et drapé dans un manteau royal semé d’hermine. L'artiste mêle habilement les codes visuels de la chevalerie chrétienne – avec la croix blanche sur la poitrine – à ceux de la royauté médiévale – avec le manteau orné de pierreries et de motifs fleurdelisés.


 

Le casque à couronne symbolise la double nature du roi : chef de guerre et monarque sacré.

La croix blanche sur fond bleu est un rappel des croisades, au cours desquelles Richard s’illustra notamment à Saint-Jean-d’Acre et Arsouf.

Le glaive à la ceinture renforce l’image du roi combattant, tandis que la main tenant l’écu rouge orné de lions évoque les armoiries d’Angleterre.

La cape rouge à motifs géométriques est typique des représentations postérieures du pouvoir monarchique, même si elle ne correspond pas à la réalité vestimentaire du XIIᵉ siècle.



Contre-sceau équestre de Richard Ier (1195), conservé à l’Historial de Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.  La scène représente Richard Cœur de Lion en chevalier armé, galopant l’épée haute, selon l’iconographie royale et féodale en vigueur à la fin du XIIᵉ siècle.  Ce sceau, daté de 1195, illustre le roi Richard non pas en roi d’Angleterre, mais en duc de Normandie et d’Aquitaine, et comte d’Anjou, comme l’indique l’inscription latine : RICARDUS DUX NORMANNORUM ET AQUITANORUM ET COMES ANDEGAVORUM. L’iconographie le montre monté en armure, tenant une épée levée dans la main droite et un écu orné de lions dans la gauche. Le cheval lancé au galop incarne la vigueur militaire du souverain, et la posture guerrière reflète l’idéal chevaleresque que Richard s’efforce d’incarner tout au long de son règne.
Contre-sceau équestre de Richard Ier (1195), conservé à l’Historial de Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.

Contre-sceau équestre de Richard Ier (1195), conservé à l’Historial de Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.

La scène représente Richard Cœur de Lion en chevalier armé, galopant l’épée haute, selon l’iconographie royale et féodale en vigueur à la fin du XIIᵉ siècle.

Ce sceau, daté de 1195, illustre le roi Richard non pas en roi d’Angleterre, mais en duc de Normandie et d’Aquitaine, et comte d’Anjou, comme l’indique l’inscription latine : RICARDUS DUX NORMANNORUM ET AQUITANORUM ET COMES ANDEGAVORUM. L’iconographie le montre monté en armure, tenant une épée levée dans la main droite et un écu orné de lions dans la gauche. Le cheval lancé au galop incarne la vigueur militaire du souverain, et la posture guerrière reflète l’idéal chevaleresque que Richard s’efforce d’incarner tout au long de son règne.


 

Le choix d’un sceau équestre, courant dans la chancellerie royale, traduit le modèle du roi-chevalier, figure de combat et de souveraineté féodale.

L’épée levée symbolise la justice armée et le droit de guerre que détient un prince.

L’écu arborant les lions, ancêtres des armoiries d’Angleterre, participe à l’élaboration progressive de l’identité héraldique royale.

Ce sceau, utilisé pour contresigner les actes royaux, est un outil de pouvoir autant qu’un manifeste visuel de légitimité et de prestige dans l’espace Plantagenêt.



Carte de l’Empire Plantagenêt sous Richard Cœur de Lion (vers 1190)  Cette carte montre l’étendue des possessions relevant de l’autorité des Plantagenêt à la fin du XIIe siècle. En vert, on distingue les terres administrées directement ou détenues par vassalité par la couronne d’Angleterre : l’Angleterre, la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine, la Bretagne (en partie), l’Aquitaine, ainsi que des territoires en Irlande et au pays de Galles.
Carte de l’Empire Plantagenêt sous Richard Cœur de Lion (vers 1190)

Légende de l’image :

Carte de l’Empire Plantagenêt sous Richard Cœur de Lion (vers 1190)

Cette carte montre l’étendue des possessions relevant de l’autorité des Plantagenêt à la fin du XIIe siècle. En vert, on distingue les terres administrées directement ou détenues par vassalité par la couronne d’Angleterre : l’Angleterre, la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine, la Bretagne (en partie), l’Aquitaine, ainsi que des territoires en Irlande et au pays de Galles.


Description historique :

Sous le règne de Richard Ier, l’Empire Plantagenêt — souvent désigné comme tel bien qu’il ne constitue pas un empire juridiquement unifié — représente une superpuissance territoriale étendue sur les deux rives de la Manche. Héritée de ses parents Henri II Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine, cette configuration féodale place Richard en roi d’Angleterre mais aussi en duc ou comte de vastes terres en France. Cette double appartenance géopolitique génère des tensions persistantes avec la monarchie capétienne, en particulier avec Philippe Auguste.


Annotations historiques :

L’ensemble des territoires continentaux s’inscrit dans le cadre d’une souveraineté vassalique vis-à-vis du roi de France, ce qui fragilise l’équilibre politique.

Richard hérite du duché d’Aquitaine par sa mère Aliénor et gouverne la Normandie, l’Anjou et le Poitou en tant que duc ou comte.

Le contrôle de cette « Europe Plantagenêt » repose autant sur l’autorité militaire que sur des stratégies matrimoniales, d’hommage et d’alliances.

En dépit de son ampleur, cet ensemble est instable : à la mort de Richard, son frère Jean perdra une large partie des possessions françaises.



Portrait idéalisé d’Aliénor d’Aquitaine  Gravure du XIXᵉ siècle représentant Aliénor d’Aquitaine (vers 1122 – 1204), duchesse souveraine d’Aquitaine, reine de France puis d’Angleterre, et mère de Richard Cœur de Lion.
Portrait idéalisé d’Aliénor d’Aquitaine

Portrait idéalisé d’Aliénor d’Aquitaine

Gravure du XIXᵉ siècle représentant Aliénor d’Aquitaine (vers 1122 – 1204), duchesse souveraine d’Aquitaine, reine de France puis d’Angleterre, et mère de Richard Cœur de Lion.


Description historique :

Aliénor d’Aquitaine incarne l’une des figures féminines les plus marquantes du XIIᵉ siècle. Héritière du duché d’Aquitaine, elle épouse successivement Louis VII, roi de France, puis Henri II Plantagenêt, futur roi d’Angleterre. Par cette double alliance, elle transmet à ses fils — dont Richard un immense héritage territorial, politique et culturel.

Figure de mécénat et d’intelligence politique, Aliénor joue un rôle déterminant dans la structuration de la cour d’Aquitaine comme foyer de la culture courtoise. Son influence sur Richard dépasse le cadre dynastique : elle façonne son éducation, son goût pour la poésie, et son rapport au pouvoir.


Annotations historiques :

En tant que duchesse d’Aquitaine, elle apporte au royaume Plantagenêt une terre riche et prestigieuse, creuset de la lyrique troubadouresque.

Elle est la protectrice de poètes majeurs comme Bernart de Ventadour ou Marcabru, et encourage les arts dans ses cours de Poitiers et de Bordeaux.

Aliénor joue un rôle actif dans la régence pendant la captivité de Richard (1192–1194), en organisant la levée de la rançon et la diplomatie avec l’Empire.

Elle meurt en 1204 à l’abbaye de Fontevraud, où elle repose aux côtés de son époux Henri II et de son fils Richard.



Légende de l’image :  Bataille d’Arsouf, 1191 – Richard Cœur de Lion face aux armées de Saladin  Illustration contemporaine représentant un épisode décisif de la troisième croisade, opposant les forces franques dirigées par Richard Ier aux troupes ayyoubides menées par Saladin.
Bataille d’Arsouf, 1191 – Richard Cœur de Lion face aux armées de Saladin

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Bataille d’Arsouf, 1191 – Richard Cœur de Lion face aux armées de Saladin

Illustration contemporaine représentant un épisode décisif de la troisième croisade, opposant les forces franques dirigées par Richard Ier aux troupes ayyoubides menées par Saladin.


Description historique :

La bataille d’Arsouf, survenue le 7 septembre 1191, demeure l’un des affrontements les plus emblématiques de la troisième croisade. Elle se déroule au nord de Jaffa, en Terre Sainte, alors que les armées chrétiennes progressent vers Jérusalem. Richard Cœur de Lion, à la tête des contingents croisés, affronte l’armée du sultan Saladin dans un choc frontal d’une rare intensité.

Ce combat est souvent cité pour illustrer le génie militaire de Richard, capable de maintenir l’ordre de marche de ses troupes malgré les assauts répétés. Selon le chroniqueur Ambroise, témoin oculaire, « le roi d’Angleterre combattit vaillamment, se portant toujours là où le danger était plus grand » (Ambroise, Estoire de la guerre sainte, éd. G. Paris, 1897, p. 330).


Annotations historiques :

Richard met en œuvre une stratégie défensive fondée sur l’organisation rigoureuse de ses lignes, avec des réserves prêtes à contre-attaquer.

Le déclenchement de l’assaut final, lorsque les Hospitaliers et Templiers menacés de rupture chargent sans ordre préalable, conduit Richard à engager toute la cavalerie dans une contre-offensive fulgurante.

La victoire permet de sécuriser la position franque sur le littoral, bien que Jérusalem reste hors de portée.

Ibn al-Athîr, chroniqueur musulman du XIIIe siècle, reconnaît le courage de Richard tout en soulignant la résistance acharnée des troupes de Saladin (Ibn al-Athîr, Al-Kamil fi al-Tarikh, éd. Tornberg, 1867, t. XII, p. 245).



Carte de Chypre sous la dynastie des Lusignan – territoires et lieux clés du pouvoir féodal  Cette carte illustre les principaux centres politiques, religieux et militaires de l’île de Chypre durant la période de domination des Lusignan, à partir de la fin du XIIᵉ siècle.
Carte de Chypre sous la dynastie des Lusignan – territoires et lieux clés du pouvoir féodal

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Carte de Chypre sous la dynastie des Lusignan – territoires et lieux clés du pouvoir féodal

Cette carte illustre les principaux centres politiques, religieux et militaires de l’île de Chypre durant la période de domination des Lusignan, à partir de la fin du XIIᵉ siècle.


Description historique :

Après la conquête de l’île par Richard Cœur de Lion en mai 1191, lors de la troisième croisade, Chypre devient un enjeu stratégique majeur en Méditerranée orientale. Richard vend rapidement l’île aux Templiers, qui ne parviennent pas à la contrôler, puis celle-ci est cédée à Guy de Lusignan, ancien roi de Jérusalem. C’est le début d’un royaume chypriote de culture franque, fondé sur une aristocratie féodale venue d’Occident.

Sous la dynastie des Lusignan (1192–1489), Chypre connaît une organisation du territoire inspirée du modèle capétien et angevin, avec de puissantes forteresses, des monastères latins et une administration féodale centralisée à Nicosie. Les Lusignan, en étroite relation avec les royaumes latins d’Orient et les cours européennes, établissent une monarchie héréditaire soutenue par une élite chevaleresque.


Annotations historiques :

Kolossi (f) : Château fortifié, utilisé notamment par les Hospitaliers pour protéger les cultures sucrières.

Monastère de Bellapais (c) : Fondé par des chanoines prémontrés, il illustre la pénétration monastique latine en territoire orthodoxe.

Saint-Hilarion (e) et Buffavento : Forteresses de montagne défendant l’accès au cœur de l’île contre les incursions.

Famagouste (b) : Port majeur, connu pour son activité commerciale et ses fortifications, notamment au XIIIᵉ siècle.

Lefkara : Centre d’artisanat réputé, mais aussi nœud de pouvoir local dans les campagnes méridionales.



Statue équestre de Richard Cœur de Lion devant le Palais de Westminster à Londres  Cette sculpture monumentale représente Richard Ier, roi d’Angleterre, dans une posture héroïque, brandissant son épée, en armure complète, monté sur un cheval cabré. Œuvre du sculpteur Carlo Marochetti, elle fut érigée en 1856 à l’entrée du Palais de Westminster, lieu emblématique du pouvoir britannique.
Statue équestre de Richard Cœur de Lion devant le Palais de Westminster à Londres

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Statue équestre de Richard Cœur de Lion devant le Palais de Westminster à Londres

Cette sculpture monumentale représente Richard Ier, roi d’Angleterre, dans une posture héroïque, brandissant son épée, en armure complète, monté sur un cheval cabré. Œuvre du sculpteur Carlo Marochetti, elle fut érigée en 1856 à l’entrée du Palais de Westminster, lieu emblématique du pouvoir britannique.


Description historique :

La statue, en bronze noirci, s’inscrit dans le contexte du XIXe siècle victorien, période de renouveau gothique et de valorisation des figures chevaleresques du passé national. Richard Cœur de Lion est ici idéalisé comme roi guerrier, défenseur de la chrétienté, symbole de bravoure et de souveraineté anglaise. L’inscription gravée sur le socle rappelle son règne : 1189–1199.

Ce choix de figuration s’inscrit dans un processus mémoriel de longue durée : malgré une présence effective très réduite en Angleterre, Richard fut idéalisé dans la culture britannique comme l’archétype du monarque chevalier, notamment dans la littérature du XIXᵉ siècle, à l’instar du roman Ivanhoé de Walter Scott.


Annotations historiques :

L’iconographie souligne davantage l’imaginaire romantique du croisé que la complexité politique de Richard.

La statue fut commandée pour l’Exposition universelle de 1851 avant d’être installée à Westminster.

Elle témoigne de la construction symbolique d’un mythe national, où le souvenir de Richard fut détaché de son rôle féodal continental pour renforcer une identité royale anglaise.



Richard Cœur de Lion capturé à Erdberg (Vienne), vers 1192  Cette miniature provient du Liber ad honorem Augusti de Pierre d’Éboli, un manuscrit enluminé commandé en l’honneur de l’empereur Henri VI. Elle montre Richard Ier, roi d’Angleterre, arrêté alors qu’il revenait de la croisade, dissimulé sous un déguisement. L’image illustre un moment-clé de son parcours, lorsque son statut de souverain croisé n’empêche pas son arrestation par Léopold V d’Autriche.
Richard Cœur de Lion capturé à Erdberg (Vienne), vers 1192

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Richard Cœur de Lion capturé à Erdberg (Vienne), vers 1192

Cette miniature provient du Liber ad honorem Augusti de Pierre d’Éboli, un manuscrit enluminé commandé en l’honneur de l’empereur Henri VI. Elle montre Richard Ier, roi d’Angleterre, arrêté alors qu’il revenait de la croisade, dissimulé sous un déguisement. L’image illustre un moment-clé de son parcours, lorsque son statut de souverain croisé n’empêche pas son arrestation par Léopold V d’Autriche.


Description historique :

De retour de la troisième croisade, Richard Ier fut capturé près de Vienne à la fin de l’année 1192. La scène représentée ici montre le roi à cheval, entouré de deux soldats en armes. Le texte rouge en haut de la page explicite la scène : « Le roi d’Angleterre, revenant de Jérusalem, est capturé par le duc Léopold. » Cette arrestation fut suivie d’une détention de plus d’un an, au cœur d’un jeu diplomatique complexe entre l’empereur Henri VI, le roi de France Philippe Auguste et Aliénor d’Aquitaine, mère de Richard.


Annotations historiques :

L’œuvre est conservée à la Burgerbibliothek de Berne (Cod. 120.II, fol. 129r).

Durant sa captivité, Richard compose Ja nus hons pris, un poème plaintif devenu célèbre, traduisant à la fois son isolement et sa désillusion.

L’arrestation d’un roi croisé, en violation du droit coutumier de l’époque, provoque un scandale diplomatique et mobilise l’Europe chrétienne.


Intérêt iconographique :

Cette enluminure offre un témoignage précieux sur la manière dont les contemporains mettaient en image un événement politique majeur. Elle illustre aussi l’usage de l’art au service de la propagande impériale, Henri VI se posant en arbitre du pouvoir royal. À travers une scène de capture sobrement illustrée, le manuscrit reflète les tensions géopolitiques du XIIe siècle et la vulnérabilité même des plus grands souverains.



Tombeau de Richard Cœur de Lion, Abbaye de Fontevraud  Photographie du gisant funéraire de Richard Ier d’Angleterre, conservé à l’Abbaye royale de Fontevraud, en Anjou. Cette représentation sculptée du roi repose aux côtés de sa mère Aliénor d’Aquitaine et de son père Henri II Plantagenêt, dans l’une des nécropoles royales les plus emblématiques de la dynastie.
Tombeau de Richard Cœur de Lion, Abbaye de Fontevraud

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Tombeau de Richard Cœur de Lion, Abbaye de Fontevraud

Photographie du gisant funéraire de Richard Ier d’Angleterre, conservé à l’Abbaye royale de Fontevraud, en Anjou. Cette représentation sculptée du roi repose aux côtés de sa mère Aliénor d’Aquitaine et de son père Henri II Plantagenêt, dans l’une des nécropoles royales les plus emblématiques de la dynastie.


Description historique :

Décédé en 1199 des suites d’une blessure reçue lors du siège de Châlus-Chabrol, Richard Cœur de Lion exprima dans ses dernières volontés le désir d’être inhumé auprès de sa famille. C’est à Fontevraud, dans l’écrin sobre et silencieux de l’abbatiale, que son corps fut déposé, tandis que son cœur rejoignit la cathédrale de Rouen, et ses entrailles furent enterrées à Châlus, là même où il fut mortellement atteint. Le gisant, aux traits apaisés, le montre en roi couronné, les mains posées sur la poitrine dans une posture de recueillement.


Annotations historiques :

Le gisant date du XIIIe siècle et conserve encore des traces de polychromie médiévale, témoignant du soin accordé à la mémoire royale.

Fontevraud fut choisi par Aliénor elle-même comme lieu de sépulture, ce qui explique la présence conjointe de plusieurs Plantagenêt.

Selon l’historien Jean Flori, ce choix de division funéraire (corps, cœur, entrailles) reflète une tradition symbolique propre aux grands souverains, exprimant leur pouvoir étendu sur plusieurs territoires.


Intérêt iconographique :

Le visage du roi, apaisé, presque endormi, contraste avec l’image belliqueuse du souverain croisé. Cette représentation posthume incarne la paix retrouvée, la transmission silencieuse d’un destin accompli. Le gisant devient, plus qu’un monument, un témoin sculpté de la mémoire collective médiévale. À Fontevraud, le temps semble suspendu autour de cette effigie de pierre, dernière demeure d’un roi à la fois guerrier, poète, et fils d’Aliénor.



Blason de Richard Cœur de Lion  Représentation héraldique des armes royales utilisées par Richard Ier d’Angleterre à partir de 1198. Ce blason, « de gueules à trois léopards d’or armés et lampassés d’azur », constitue l’un des premiers emblèmes clairement associés à la royauté anglaise, et marque une étape fondatrice dans l’histoire de l’héraldique occidentale.
Blason de Richard Cœur de Lion

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Blason de Richard Cœur de Lion

Représentation héraldique des armes royales utilisées par Richard Ier d’Angleterre à partir de 1198. Ce blason, « de gueules à trois léopards d’or armés et lampassés d’azur », constitue l’un des premiers emblèmes clairement associés à la royauté anglaise, et marque une étape fondatrice dans l’histoire de l’héraldique occidentale.


Description historique :

Sous le règne de Richard Cœur de Lion, l’usage du blason se codifie et se répand dans l’aristocratie européenne. Richard adopte, vers la fin de son règne, ce champ rouge orné de trois léopards d’or – félins héraldiques proches du lion, en position dite « passant gardant » – qui deviennent progressivement l’image emblématique de la monarchie anglaise.

Ce blason est employé sur ses sceaux, bannières et pièces de monnaie. Il sert aussi à affirmer une identité dynastique et politique, dans un contexte marqué par les tensions avec la France capétienne. C’est également une marque de continuité féodale, les lions étant déjà présents dans les armoiries de ses prédécesseurs.


Annotations historiques :

Les « léopards » héraldiques sont des lions vus de profil, avec la tête tournée vers le spectateur.

Richard est l’un des premiers souverains européens à intégrer durablement des armoiries personnelles dans l’appareil d’État.

Le choix du lion, animal royal et martial, renforce l’image du roi-chevalier défendeur de la foi et de son royaume.


Intérêt iconographique :

Ce blason condense à lui seul l’imaginaire du pouvoir médiéval : force, majesté, continuité dynastique. Il a traversé les siècles pour devenir l’un des symboles les plus durables de la monarchie britannique, encore visible dans certaines représentations officielles actuelles. L’héraldique, par sa rigueur formelle et sa puissance symbolique, devient ici un langage de l’Histoire.



 

Bibliographie


Ambroise. (1897). L’Estoire de la guerre sainte (G. Paris, Éd.). Paris : Librairie Firmin-Didot.

Aurell, M. (2001). La légende du roi Salomon au Moyen Âge : Naissance d’un imaginaire politique. Paris : Presses universitaires de France.

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Charmaine, L. (2008). Richard I’s Ja nus hons pris Reconsidered: The Language of Captivity. Medium Ævum, 77(1), 25–42.

Charmaine, L. (2017). La version d’oïl de Ja nus hons pris : nouvelle lecture d’un texte bilingué. Revue des langues romanes, 121(1), 153–178.

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Flori, J. (1998). Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge. Paris : Hachette.

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Guillaume de Newburgh. (1885). Historia rerum Anglicarum, dans Howlett, R. (Éd.), Chronica et Annales, vol. I. Londres : Longman (Rolls Series).

Henri VI. (1192). Lettre à Philippe Auguste, 28 décembre 1192, rapportée dans Chronica magistri Rogeri de Hoveden.

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Stévanovitch, C. (2020). Deux rois face à la maladie : Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste au siège de Saint-Jean d’Acre, de l’histoire à la légende. Bulletin d’études orientales, 96(1), 67–86.



 

Glossaire alphabétique


  • Aliénor d’Aquitaine : Duchesse d’Aquitaine, épouse d’Henri II Plantagenêt et mère de Richard Cœur de Lion. Elle joue un rôle fondamental dans la transmission de la culture courtoise et poétique en Europe. Mécène éclairée, elle protège troubadours et poètes et assure à sa cour une renommée intellectuelle exceptionnelle. Élevée dans une tradition poétique occitane, elle forme ses enfants à cette culture, notamment Richard.

  • Amour courtois : Code amoureux et poétique né dans les cours aristocratiques du sud de la France, fondé sur la dévotion du chevalier envers une dame souvent inaccessible. Ce modèle valorise la loyauté, la retenue, la souffrance noble et la célébration spirituelle de l’amour. Il influence profondément la lyrique médiévale et la formation morale des princes comme Richard.

  • Anjou : Province française constituant une partie du vaste domaine des Plantagenêt. Fief stratégique, l’Anjou est gouverné par Henri II puis transmis à ses fils. Il incarne la réalité d’un pouvoir féodal éclaté, avec des vassalités complexes entre l’Angleterre et la France.

B

  • Bertran de Born : Célèbre troubadour et seigneur du Limousin, connu pour ses poèmes satiriques (sirventes) et sa relation d’admiration-rivalité avec Richard Cœur de Lion. Il participe à la construction poétique de l’image du roi en le surnommant Oc-e-Non, soulignant son caractère changeant. Son œuvre témoigne de la fonction politique de la poésie dans les cours médiévales.

  • Blondel de Nesle : Trouvère actif à la cour de Champagne à la fin du XIIe siècle, connu pour ses chansons d’amour. Une légende romantique du XVIe siècle l’identifie comme le poète qui aurait retrouvé Richard durant sa captivité en chantant un air connu d’eux seuls, mais cette histoire n’a aucun fondement historique.

C

  • Chanson de geste : Long poème épique en langue d’oïl, racontant les exploits héroïques de chevaliers ou de rois chrétiens, souvent dans le contexte des croisades ou des luttes contre les païens. Ces récits participent à la construction de l’idéal chevaleresque et nourrissent l’imaginaire dans lequel Richard s’inscrit.

  • Chevalerie : Institution sociale et culturelle du Moyen Âge qui regroupe un ensemble de valeurs militaires, morales et sociales. Le chevalier incarne la bravoure, la loyauté envers le suzerain, la piété chrétienne et la courtoisie envers les dames. Au XIIe siècle, cette figure s’enrichit d’idéaux littéraires et poétiques, comme chez Richard Cœur de Lion.

  • Croisade : Expédition religieuse lancée par l’Église pour reprendre les lieux saints aux musulmans. Richard participe à la troisième croisade (1189–1192), qui marque son règne. La croisade devient aussi un thème poétique, mêlant ferveur religieuse et idéaux courtois.

D

  • Dalfi d’Alvernha : Comte d’Auvergne et poète troubadour. Il participe à des échanges poétiques avec Richard Cœur de Lion, dans le cadre des tensons, joutes verbales en vers. Ces échanges témoignent du raffinement intellectuel des élites aristocratiques.

  • Duché d’Aquitaine : Grand territoire du sud-ouest de la France transmis par Aliénor à son fils Richard. L’Aquitaine est un foyer culturel majeur du XIIe siècle, marqué par l’essor de la lyrique troubadouresque et par l’héritage de Guillaume IX, considéré comme le premier troubadour connu.

E

  • Empire Plantagenêt : Ensemble des possessions d’Henri II d’Angleterre sur les deux rives de la Manche : Angleterre, Normandie, Anjou, Touraine, Maine, Aquitaine... Cet empire composite repose sur des liens féodaux complexes et place Richard à la fois comme roi d’Angleterre et vassal du roi de France.

  • Éducation princière : Formation intellectuelle et militaire dispensée aux jeunes nobles. Au XIIe siècle, elle comprend l’apprentissage des lettres, de la rhétorique, des langues vernaculaires, mais aussi de la guerre et des valeurs chrétiennes. Richard reçoit une double éducation : militaire et littéraire, selon les ambitions d’Aliénor.

F

  • Féodalité : Organisation politique et sociale dominante au Moyen Âge, fondée sur un réseau de relations personnelles entre suzerains et vassaux. Chaque seigneur tient ses terres d’un autre en échange de services (souvent militaires) et de fidélité. Ce système repose sur l’hommage, le serment, et l’échange de fiefs. Au XIIᵉ siècle, il coexiste avec un pouvoir royal encore limité, comme dans le cas de Richard, vassal du roi de France pour certains de ses fiefs continentaux.

  • Fin’amor : Terme occitan signifiant "amour noble", désignant l’amour courtois codifié par les troubadours. Cet amour est non consommé, exigeant, et spirituel. Il structure la poésie courtoise et l’expression lyrique à la cour, influençant Richard dans ses compositions poétiques.

G

  • Guillaume IX d’Aquitaine : Duc d’Aquitaine au début du XIIe siècle et grand-père maternel de Richard. Il est considéré comme le premier troubadour connu. Son œuvre mêle satire, lyrisme amoureux et ironie, et marque profondément la tradition poétique dans laquelle s’inscrit Richard.

H

  • Henri II Plantagenêt : Roi d’Angleterre et père de Richard. Fondateur de l’empire Plantagenêt, il est un acteur politique majeur du XIIe siècle. Sa relation conflictuelle avec ses fils, notamment Richard, marque les tensions dynastiques de la période.

I

  • Ibn al-Athîr : Historien musulman du XIIIe siècle ayant décrit la croisade de Richard. Il reconnaît le courage et l’habileté stratégique du roi d’Angleterre, contribuant à l’image respectée de Richard même chez ses adversaires.

  • Idéal chevaleresque : Modèle moral et social attendu du chevalier au Moyen Âge : bravoure au combat, loyauté, piété, et raffinement courtois. Richard incarne cette synthèse entre force militaire et culture raffinée.

J

  • Ja nus hons pris : Poème composé par Richard durant sa captivité entre 1192 et 1194. C’est une complainte lyrique exprimant sa détresse et sa solitude, dans le style du planh occitan. Le poème circule largement, chanté et copié, et constitue un exemple rare de poésie politique médiévale écrite par un roi.

L

  • Langue d’oc / langue d’oïl : Deux grandes familles linguistiques du Moyen Âge français. La langue d’oc est parlée dans le sud et utilisée par les troubadours ; la langue d’oïl est propre au nord et aux trouvères. Richard maîtrise les deux, ce qui lui permet de composer et comprendre une large variété de poèmes.

M

  • Marie de Champagne : Demi-sœur de Richard et fille d’Aliénor. Comtesse de Champagne, elle protège les poètes comme Chrétien de Troyes et joue un rôle central dans la diffusion de la culture courtoise dans le nord de la France.

  • Mécénat : Soutien apporté par les puissants (princes, reines, seigneurs) aux artistes et lettrés. Richard exerce un mécénat actif : il protège des troubadours, participe à des joutes poétiques, et compose lui-même des vers, renforçant son autorité symbolique.


N

  • Normandie : Région du nord de la France, possession des Plantagenêt au XIIe siècle. Elle constitue un enjeu majeur dans les rivalités franco-anglaises. Richard, en tant que duc de Normandie, doit rendre hommage au roi de France, illustrant la complexité féodale de l’époque.

O

  • Oc-e-Non : Surnom donné à Richard Cœur de Lion par le troubadour Bertran de Born. Il signifie littéralement "Oui-et-Non" en langue d’oc, soulignant le caractère impulsif, ambivalent et parfois imprévisible du roi. Ce surnom reflète aussi l’usage poétique du langage dans les cercles aristocratiques.

P

  • Plantagenêt : Dynastie d’origine angevine fondée par Geoffroy Plantagenêt, père d’Henri II. Cette maison règne sur l’Angleterre et un vaste empire continental. Richard en est l’un des membres les plus emblématiques, mêlant bravoure militaire et raffinement poétique.

  • Poésie courtoise : Genre lyrique médiéval né dans les cours aristocratiques, valorisant la finesse des sentiments, l’amour noble et le respect des formes. Richard s’y adonne personnellement à travers des compositions et des joutes poétiques, contribuant à son prestige.

Q

  • (Pas d’entrée spécifique identifiée pour cette lettre dans ce chapitre.)

R

  • Richard Cœur de Lion : Roi d’Angleterre de 1189 à 1199, célèbre pour sa participation à la troisième croisade et sa bravoure. Il incarne l’idéal du roi chevalier, mais aussi du prince lettré et poète. Élevé par Aliénor d’Aquitaine, il reçoit une éducation raffinée et compose plusieurs poèmes, dont Ja nus hons pris.

  • Rançon de Richard : Somme astronomique (100 000 marcs d’argent) demandée pour libérer Richard après sa capture par l’empereur Henri VI en 1192. Sa mère, Aliénor, organise une mobilisation générale pour réunir la somme. La rançon devient un symbole de solidarité féodale et de la valeur politique du roi.

S

  • Sirventes : Poème occitan de forme satirique ou politique. Il est utilisé par les troubadours pour critiquer ou faire l’éloge de personnalités. Richard en compose au moins un, s’insérant dans cette tradition où le vers devient un outil d’influence.

  • Suzerain / Vassal : Dans le système féodal, le suzerain est le seigneur qui accorde un fief, et le vassal celui qui le reçoit en échange de fidélité et de services. Richard, bien qu’étant roi d’Angleterre, est aussi vassal du roi de France pour ses possessions continentales.

T

  • Troubadour / Trouvère : Poètes médiévaux respectivement de langue d’oc (sud) et de langue d’oïl (nord). Les troubadours chantent la fin’amor dans un style lyrique exigeant, tandis que les trouvères reprennent ces thèmes en langue du nord. Richard côtoie et protège les uns comme les autres, et participe à cette culture de cour.

  • Tenso (ou Tenson) : Joute poétique en forme de dialogue entre deux poètes. Elle permet des débats stylisés sur l’amour, la morale ou la politique. Richard aurait pratiqué cette forme dans son échange avec Dalfi d’Alvernha, montrant sa virtuosité dans l’art de la répartie lyrique.


 

Acteurs


Famille de Richard Cœur de Lion

Henri II Plantagenêt (1133–1189)

Roi d’Angleterre de 1154 à 1189, il fonde l’empire Plantagenêt, unissant l’Angleterre à de vastes possessions continentales (Normandie, Anjou, Aquitaine…). Marié à Aliénor d’Aquitaine, il entretient des relations tendues avec ses fils, en particulier Richard, qui se révolte contre lui dans les années 1170.

Aliénor d’Aquitaine (vers 1122–1204)

Duchesse d’Aquitaine, épouse successivement de Louis VII de France puis d’Henri II d’Angleterre. Mère de Richard, elle joue un rôle central dans sa formation intellectuelle et politique. Régente active durant sa captivité, elle est une figure majeure de la culture courtoise du XIIᵉ siècle.

Guillaume IX d’Aquitaine (1071–1126)

Grand-père maternel de Richard, duc d’Aquitaine, célèbre pour être le premier troubadour connu. Son œuvre lyrique mêle satire, amour et politique. Il initie une tradition poétique familiale.

Marie de Champagne (vers 1145–1198)

Fille d’Aliénor et de Louis VII, donc demi-sœur de Richard. Comtesse de Champagne, elle protège les lettres et les trouvères, notamment Chrétien de Troyes. Elle aurait reçu le poème « Ja nus hons pris » de Richard durant sa captivité.

Jean sans Terre (1166–1216)

Frère cadet de Richard. Il tente de profiter de sa captivité pour s’emparer du pouvoir, en négociant secrètement avec Philippe Auguste. Devenu roi en 1199, il est considéré comme un souverain faible, notamment à cause de la perte des possessions continentales.

Geoffroy d’Anjou (1158–1186)

Autre frère de Richard, duc de Bretagne par son mariage avec Constance de Bretagne. Il meurt avant la montée sur le trône de Richard, laissant un fils, Arthur de Bretagne, futur rival de Jean.

Henri le Jeune Roi (1155–1183)

Frère aîné de Richard, couronné du vivant de leur père mais sans réel pouvoir. Rival de Richard, il se révolte plusieurs fois contre Henri II avec l’aide de ses frères. Il meurt en 1183.


Alliés et compagnons de croisade

Philippe II Auguste (1165–1223)

Roi de France (1180–1223), allié temporaire de Richard lors de la troisième croisade. Leur rivalité éclate rapidement. Philippe tente de tirer profit de la captivité de Richard pour s’emparer de ses fiefs en France.

Ambroise (actif entre 1190–1200)

Trouvère normand, auteur de L’Estoire de la guerre sainte, chronique poétique de la troisième croisade. Il glorifie Richard dans son œuvre, le représentant comme un roi héroïque et pieux.

Aliénor d’Aquitaine (cf. plus haut)

Elle joue un rôle actif comme régente pendant la croisade et la captivité de Richard, rassemblant les fonds pour sa rançon.

Guillaume de Newburgh (vers 1136–après 1198)

Moine et chroniqueur anglais, auteur de l’Historia rerum Anglicarum. Il reconnaît les talents militaires de Richard mais critique sa dureté et sa fiscalité.

Roger de Hoveden († vers 1201)

Chroniqueur royal et clerc d’Henri II. Il relate avec précision les événements du règne de Richard, y compris ses campagnes militaires et sa captivité.

Bertran de Born (vers 1140–vers 1215)

Troubadour limousin et seigneur de Hautefort. Il entretient des rapports complexes avec Richard, entre éloge et satire, et célèbre son courage sous le surnom Oc-e-Non.

Blondel de Nesle (vers 1155–vers 1202)

Trouvère picard à la cour de Champagne. Bien qu’aucune preuve historique ne le lie à la captivité de Richard, une légende romantique l’identifie comme le ménestrel ayant retrouvé Richard grâce à une chanson.


Figures politiques et ennemis

Saladin (Ṣalāḥ ad-Dīn Yūsuf ibn Ayyūb) (1137–1193)

Sultan d’Égypte et de Syrie, chef militaire de l’islam contre les croisés. Adversaire de Richard pendant la troisième croisade. Ils s’affrontent militairement mais se respectent mutuellement. Saladin signe une trêve avec Richard en 1192.

Henri VI du Saint-Empire (1165–1197)

Empereur germanique de 1191 à 1197. Il capture Richard en 1192 et le retient prisonnier jusqu’en 1194. Il négocie une rançon colossale avec l’Angleterre. Dans une lettre conservée, il exprime sa joie d’avoir capturé « l’ennemi de l’Empire ».

Léopold V d’Autriche (1157–1194)

Duc d’Autriche. Il capture Richard sur le chemin du retour de la croisade, à Erdberg, en décembre 1192. Il le livre ensuite à Henri VI. Il avait été offensé par Richard lors du siège de Saint-Jean-d’Acre.

Ibn al-Athīr (1160–1233)

Historien musulman, auteur de Al-Kāmil fī al-tārīkh, chronique importante des croisades du point de vue musulman. Il décrit Richard comme un chef valeureux, énergique et respecté, malgré sa brutalité.


Figures artistiques et poétiques

Gaucelm Faidit (vers 1170–vers 1202)

Troubadour actif dans les cours d’Aquitaine et de Champagne. Il aurait fréquenté les cercles poétiques autour de Richard et composé des poèmes à sa gloire.

Bernart de Ventadorn (vers 1130–vers 1200)

L’un des plus célèbres troubadours occitans, il chante l’amour courtois et fréquente les cours d’Aliénor. Sa présence à la cour de Poitiers, où Richard fut élevé, est attestée.

Dalfi d’Alvernha (Dalfi d’Alvernhe) (vers 1150–vers 1234)

Comte d’Auvergne et troubadour. Il échange des tensons avec Richard dans des joutes poétiques, témoignant de la dimension intellectuelle des élites.

Chrétien de Troyes (actif entre 1160–1190)

Trouvère champenois protégé par Marie de Champagne. Auteur des grands romans arthuriens. Bien qu’il n’ait pas côtoyé Richard directement, il incarne l’esprit littéraire du cercle familial Plantagenêt.



 

Chronologie


Année 1157 — Naissance de Richard à Oxford.

Troisième fils d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine, Richard naît dans un contexte de consolidation dynastique et d’expansion territoriale. Il est immédiatement associé au duché d’Aquitaine par sa mère, dont il devient l’héritier dès l’enfance.

Vers 1160–1170 — Formation princière.

Durant sa jeunesse, Richard reçoit une double éducation : militaire et littéraire. Il est élevé d’abord en Angleterre puis dans les territoires continentaux, notamment à Poitiers. Aliénor d’Aquitaine veille personnellement à lui transmettre l’héritage culturel occitan. Il apprend à manier les armes, à gouverner, mais aussi à lire et composer des vers en langue d’oc et langue d’oïl.

1173–1174 — Révolte des fils Plantagenêt contre Henri II.

Richard, avec ses frères Henri le Jeune et Geoffroy de Bretagne, se révolte contre leur père Henri II, encouragé en cela par la noblesse aquitaine et par Aliénor. L’échec de la rébellion conduit à l’emprisonnement de sa mère et à un compromis politique. Richard conserve cependant le duché d’Aquitaine.

Années 1170–1180 — Mécénat et activité poétique.

Installé à Poitiers, Richard s’entoure de troubadours et fréquente des figures majeures de la lyrique occitane, comme Bertran de Born ou Bernart de Ventadorn. Il participe à des joutes poétiques et compose ses premiers vers. La cour d’Aliénor devient un foyer culturel majeur.

1183 — Mort d’Henri le Jeune Roi.

L’aîné des fils Plantagenêt meurt sans descendance, ce qui place Richard comme héritier direct de la couronne anglaise. Les tensions avec son frère Jean sans Terre augmentent.

1189 — Mort d’Henri II et avènement de Richard.

Henri II meurt en juillet 1189. Richard est sacré roi d’Angleterre le 3 septembre à Westminster. Dès les premiers mois de son règne, il prépare activement la troisième croisade, à laquelle il s’est engagé en 1187 après la prise de Jérusalem par Saladin.

1190 — Départ pour la croisade.

Richard quitte l’Angleterre en avril 1190. Il fait escale à Messine (Sicile), où il impose un traité à Tancrède de Lecce. Il rencontre également Philippe Auguste, roi de France, avant de poursuivre vers Chypre.

Mai 1191 — Conquête de Chypre.

Richard s’empare militairement de l’île de Chypre, qu’il confie ensuite aux Templiers, avant de la vendre à Guy de Lusignan. Cette opération stratégique renforce la logistique croisée.

Juin–juillet 1191 — Siège de Saint-Jean-d’Acre.

Richard rejoint le siège entamé deux ans plus tôt. Son arrivée accélère la prise de la ville, obtenue en juillet. Il impose sa tactique aux armées croisées, bien que les relations avec Philippe Auguste se tendent.

Septembre 1191 — Bataille d’Arsouf.

Le 7 septembre, Richard inflige une lourde défaite à Saladin à Arsouf. Cet épisode contribue à sa réputation militaire. Il progresse ensuite jusqu’à Jaffa mais renonce à Jérusalem, préférant négocier.

1192 — Signature de la trêve avec Saladin.

En septembre, Richard conclut un accord qui garantit aux pèlerins chrétiens l’accès à Jérusalem, sans que la ville soit reprise. Ce traité marque la fin de son engagement militaire en Orient.

Décembre 1192 — Capture de Richard à Erdberg (Autriche).

Sur le chemin du retour, Richard est arrêté par Léopold V d’Autriche, qu’il avait humilié à Acre. Il est livré à Henri VI, empereur du Saint-Empire, qui le détient contre rançon.

1192–1194 — Captivité en Allemagne.

Richard reste prisonnier pendant plus d’un an. Il compose durant cette période son poème Ja nus hons pris, en langue d’oïl, adressé à sa sœur Marie de Champagne. Le texte exprime sa douleur et son sentiment d’abandon.

Février 1194 — Libération contre rançon.

Aliénor d’Aquitaine organise la collecte d’une rançon de 100 000 marcs. Richard est libéré à la condition de renouveler son hommage à l’empereur. Il rentre immédiatement en Angleterre.

1194–1199 — Retour en France et guerre contre Philippe Auguste.

Dès son retour, Richard affronte son frère Jean qui a tenté de prendre le pouvoir. Il réaffirme son autorité, puis se rend en Normandie et en Anjou pour affronter les attaques françaises. Il reconstruit le château de Châlus-Chabrol et renforce son pouvoir en Aquitaine.

6 avril 1199 — Mort de Richard à Châlus.

Blessé par un carreau d’arbalète lors du siège du château de Châlus, Richard meurt des suites de la blessure. Son corps est inhumé à Fontevraud, aux côtés de ses parents.

Postérité — Du Moyen Âge au XIXe siècle.

La figure de Richard est immédiatement idéalisée. Elle nourrit les chansons de geste, les chroniques médiévales et les récits romantiques, notamment la légende de Blondel de Nesle. Les historiens modernes, tels que Jean Flori, Martin Aurell et John Gillingham, s’attachent à réévaluer son rôle de poète et de mécène dans une approche critique.


 

CHIFFRES MARQUANTS :


  • 100 000 marcs d'argent : montant de la rançon exigée par l’empereur Henri VI pour libérer Richard après sa capture (1192–1194). C’est l’une des rançons les plus élevées de l’histoire médiévale occidentale.

  • 14 mois : durée de la captivité de Richard, entre décembre 1192 et février 1194, en détention dans différents lieux du Saint-Empire romain germanique.

  • 2 langues vernaculaires utilisées par Richard dans ses poèmes : la langue d’oïl (ancien français du nord) et la langue d’oc (occitan). Il maîtrisait également le latin pour les usages diplomatiques et ecclésiastiques.

  • 1 poème attribué avec certitude à Richard : Ja nus hons pris, composé durant sa captivité. Il en existerait une version en langue d’oc et une en langue d’oïl, transmises dans plusieurs manuscrits.

  • Entre 7 et 10 manuscrits médiévaux (chansonniers de trouvères et de troubadours) conservent le poème Ja nus hons pris dans différentes versions (étude de Charmaine Lee, Neuphilologische Mitteilungen, 2004).

  • Jusqu'à 800 navires et environ 17 000 hommes ont été mobilisés pour le départ de la croisade en 1190 (sources : Roger de Hoveden, Chronica, t. III, et Jean Flori, Richard Cœur de Lion, p. 214).

  • 6 avril 1199 : mort de Richard à l’âge de 41 ans, à Châlus, des suites d’une blessure par arbalète.

  • 3 septembre 1189 : date du couronnement de Richard à l’abbaye de Westminster.

  • 7 septembre 1191 : victoire de Richard contre Saladin à la bataille d’Arsouf durant la troisième croisade.

  • 2 années de croisade : de 1190 à 1192, Richard est engagé militairement en Terre sainte (après escale en Sicile et prise de Chypre).

  • 1 chanson satirique (sirventes) également attribuée à Richard par certains chercheurs : Dalfin, je us voill desrenier, en langue d’oïl, adressée possiblement au comte d’Auvergne (voir Ruth Harvey, The Troubadour Dalfi d’Alvernha, 2004).

  • 1 surnom poétique attribué par le troubadour Bertran de Born : Oc-e-Non (« Oui-et-Non »), soulignant le caractère ambivalent de Richard.


 

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