La vie et l'œuvre de Victor Hugo
Victor Hugo était aimé de tous, et personnellement, je l'aimais depuis quarante ans. Même si nous savions qu'il avait vécu une longue vie et dépassé largement les limites ordinaires de la longévité humaine, nous ne pouvions pas nous résoudre à envisager sa mort. Chaque année, au début du mois de février, quelques amis fidèles organisaient un banquet solennel et joyeux pour célébrer son anniversaire. Malgré les objections et les résistances, nous répondions simplement : "Il a passé ses quatre-vingts ans ! Il faut se hâter de l'honorer encore, c'est peut-être la dernière fois." Mais au fond de nous, nous ne le croyions pas, et j'espérais fermement qu'il ne s'éteindrait pas avant la fin du siècle qu'il avait presque commencé. - Auguste Vitu dans Le Figaro
Pourtant, Victor Hugo, celui qui est "entré vivant dans la postérité", a aujourd'hui glorieusement rejoint la mort. Devant cette immense tombe, les éloges sont superflus et les jugements contradictoires seraient une sorte d'impiété. Contentons-nous de tracer rapidement les grandes lignes de cette grande figure.
Victor-Marie Hugo est né à Besançon le 26 février 1802, fils du commandant Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo et de sa femme Sophie Trébuchet. Il a reçu sa première éducation au collège des Nobles en Espagne, où son père, devenu général et comte de l'Empire, avait été appelé aux fonctions de majordome ou grand chambellan du roi Joseph. Entre ses huitième et onzième années, les impressions reçues par l'enfant ont laissé des traces indélébiles dans son esprit. Ainsi, c'est à l'Espagne elle-même, et non à la ville de Besançon "vieille ville espagnole", qu'il faut attribuer le développement initial de ses facultés pittoresques, de son intensité de couleurs et de sa grandiloquence à la fois hautaine et familière, caractéristiques de son œuvre tout au long de sa vie.
Cependant, je ne saurais priver la ville de Besançon d'une part de maternité artistique dans l'éclosion de ce génie singulier. Charles Nodier, lui aussi natif de Besançon, partage avec Victor Hugo des points de ressemblance imaginatifs, les rapprochant l'un de l'autre. On peut voir cette parenté entre l'auteur de "Jean Sbogar" et "Smarra" et celui de "Bug Jargal" et "Han d'Islande".
Les débuts littéraires de Victor Hugo ne nécessitent plus d'historien, depuis son ode sur les "Avantages de l'Etude" écrite à l'âge de quinze ans et remarquée par l'Académie française en 1817, jusqu'aux gigantesques conceptions de sa vieillesse telles que "Les Contemplations", "La Légende des siècles", "Religion et Religions", et "L'Ane". Roman, critique littéraire et artistique, drame, épopée, poésie lyrique, il a exploré tous les genres, les a tous abordés avec succès, hissant son drapeau victorieux sur tous les sommets de la pensée et de l'art.
Seule la politique lui a été cruelle, et je ne m'attarderai pas ici sur l'histoire de ses fluctuations. Il est naturel qu'au début de sa vie, il ait chanté les gloires de la monarchie et de l'Empire tour à tour, qu'il ait assisté au sacre du roi Charles X, en vertu d'une invitation officielle, qu'il ait célébré la naissance du duc de Bordeaux et pleuré la mort du roi de Rome. Il en avait le droit.
Son père, un vieux soldat, et sa mère, une Vendéenne, ont tous deux captivé ses sympathies et ses aspirations, tour à tour, voire ensemble. Comment pourrait-on le lui reprocher ? La plus grande et, oserais-je dire, la meilleure partie de la société française en était là au lendemain du premier Empire. La volonté du héros avait accompli, au feu de cent batailles, la fusion des royalistes et des bonapartistes. La révolution de Juillet a renforcé chez Victor Hugo cette nuance bonapartiste au détriment de la première. Entre la dynastie d'Orléans et la dynastie napoléonienne, il y avait une communauté de drapeau. Pour l'une comme pour l'autre, les trois couleurs symbolisaient l'alliance de la monarchie avec les principes de 1789.
Pendant dix-huit ans, Victor Hugo a été un fervent défenseur des droits de la pensée, s'impliquant activement en tant que simple citoyen et pair de France. Sa loyauté envers la monarchie déchue, née des pavés des barricades du 24 février 1848, témoigne de son attachement conservateur, mais dans un sens élevé et libéral. Cependant, sa vision politique s'est également tournée vers la "République tricolore", comme en témoigne son manifeste électoral de juin 1848, où il s'est présenté comme le champion de cette cause, le plaçant ainsi parmi les représentants de la droite modérée. Ses inclinations personnelles le rapprochaient naturellement du prince Louis-Napoléon, devenu président de la République. Si les circonstances avaient permis au prince d'agir selon ses propres volontés, Victor Hugo aurait presque immédiatement occupé un poste ministériel, suite au coup d'État du 2 décembre 1851, lorsque Louis-Napoléon Bonaparte accéda à la présidence de la République française.
Cependant, au cours de cette période, Victor Hugo a dû faire face à des préjugés littéraires tenaces. Les héritiers et disciples des critiques littéraires de l'ancien journal Constitutionnel, regroupés sous le nom de "les Burgraves", refusaient d'accepter leur défaite lors de la bataille d'Hernani. Ces préjugés ont joué un rôle significatif, alimentant une hostilité persistante envers Victor Hugo et son œuvre. De plus, l'intolérance religieuse a également influencé cette situation. La majorité conservatrice de l'Assemblée législative a applaudi un discours insultant de M. de Montalembert à l'encontre de Victor Hugo, illustrant ainsi l'atmosphère peu favorable à son égard. L'historien de Sainte-Élisabeth de Hongrie s'est même félicité d'avoir exclu l'auteur de Notre-Dame de Paris du parti conservateur, mettant en évidence les tactiques politiques de l'époque.
On connaît la suite de l'histoire. Après vingt ans d'exil, imposé d'abord, puis volontaire, suivi de quinze années de repos en France, Victor Hugo a retrouvé une nouvelle existence. Chacun, tour à tour, lui a rendu hommage, parfois même exprimé des regrets. Entouré de l'admiration publique, consolé de ses épreuves passées et de ses peines personnelles, il est devenu le symbole rayonnant du génie français.
Victor Hugo a acquis une royauté littéraire inégalée. Si Voltaire régnait dans d'autres domaines, on dit de lui qu'il était le second dans tous les genres. En revanche, Victor Hugo est et restera le premier dans plusieurs genres. La France n'a jamais possédé, ni au siècle de Victor Hugo ni dans les siècles précédents, un poète d'une telle grandeur, d'une telle abondance et d'une telle envergure. Il est pour nous ce que Dante, Pétrarque, le Tasse et l'Arioste réunis ont été pour l'Italie. Il est le majestueux chêne dont les puissantes frondaisons ont couvert de leur ombre les floraisons sans cesse renouvelées de la pensée française pendant soixante ans.
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